mercredi 22 juillet 2009

InLibroVeritas, ou la fausse bonne idée

Innovation dans le domaine de l'impression à la demande de livres : InLibroVeritas. Voilà quel pourrait être le titre de ce billet. Hélas, en lisant rapidement (mais pas trop) le procédé, on tombe sur un chiffre étonnant et consternant qui ne fait qu'amplifier mon précédent billet sur l'avenir du livre et de l'édition.

Mais avant de vendre la mèche observons l'argumentaire de vente. Le métier d'éditeur est un métier responsable et efficace. Il s'agit donc d'éditer des œuvres choisies, nouvelles, intéressantes, puis de les vendre en tenant compte des révolutions technologiques du moment. Un livre, c'est du papier. Donc vendons du papier mais de manière intelligente. Pour cela, utilisons Internet pour réaliser la commande du futur client en lui proposant de choisir son format, son contenu, son nombre de pages. Il peut ajouter des éléments extérieurs (couverture, dédicace, etc.) et surtout il choisit le nombre d'exemplaires.

Jusque ici, l'idée n'a rien d'original puisque une douzaine d'autres imprimeurs déguisés font déjà la même chose pour d'apparentes opérations d'auto-édition. L'originalité provient du contenu. Vous pouvez choisir des œuvres originales d'auteurs auxquels une partie du prix du livre est reversé en droits d'auteurs. Ou bien, le livre peut contenir vos propres productions et de fait, le prix est révisé à la baisse pour vous faire bénéficier d'une remise équivalente à vos droits d'auteurs.

Alors où est le problème ? La remise ou part de droits d'auteurs est de 10% du prix public HT.

Il est étonnant de voir qu'une fois la distribution, la diffusion, la composition, la commande, la gestion des droits et des manuscrits et les charges relatives à tout ce travail d'édition sont réduits à rien ou à la plus simple expression, sur le prix public HT, l'auteur ne reçoit que 10% ! Non seulement c'est étonnant, mais c'est consternant. C'est à peine 1 ou 2 points de plus que ce qu'il ou elle recevrait dans le cadre d'une publication conventionnelle.

Quel intérêt ? Aucun. Pas même celui de pouvoir choisir d'imprimer sur du recyclé qui évidemment coûte plus cher que le standard. Suprême absurdité.

On peut dire que les maisons d'édition ne sont pas, dans la majorité des cas, généreuses avec leurs auteurs (et plus généralement avec leurs prestataires). Mais dans le cas de InLbroVeritas, la marge éditeur se fait la part du lion. Et celle de l'auteur est la part du pigeon...

mardi 21 juillet 2009

Edition numérique à la demande : le miroir aux alouettes

L'impression à la demande n'est pas un concept nouveau dans le monde de l'impression, surtout depuis les performances avérées de l'impression numérique mise au point par les plus grandes compagnies dans le domaine : Canon, Xerox, Minolta, Epson, HP... Les efforts déployés par les géants de l'impression, en dépit d'une concurrence forte avec les métiers de l'impression traditionnelle (feuille-à-feuille et rotative), ont permis à des centaines de petites unités de fabrication et de façonnage de proposer une gamme de services à des tarifs et à des qualités adéquat pour intéresser une clientèle professionnelle très importante et gagner progressivement un grand nombre de particuliers.

L'impression numérique a permis également de transformer l'univers de la photographie, en mal ou en bien, et de permettre à cette dernière de se démocratiser dans le vrai sens du terme. Et malgré le tollé des professionnels et les atermoiements des amoureux de l'argentique et du tirage traditionnel, la photographie a gagné une place artistique de choix, complètement distincte de l'industrie du tirage et de la prise de vue familiale. Dans ce domaine, les technologies d'impression numérique ont permis de proposer une gamme de service autrefois dévolus à l'édition. Que ce soit pour des tirages sur supports spéciaux destinés à la décoration d'intérieur ou bien des tirages limités de catalogues, de brochures ou d'albums, l'impression numérique s'est parfaitement substituée à certains segments de l'édition d'art en l'appliquant aux besoins et aux désirs des entreprises et des particuliers.

Cette apparente réussite commerciale a laissé penser à nombre de professionnels que la même expérience pouvait être reproduite dans le secteur de l'édition littéraire. La montée en puissance des outils immatériels de publication et surtout la domination de la blogosphère sur le web traditionnel, où ce qu'on a appelé la victoire du Web 2.0 sur le Web 1.0, ont tous renforcé l'idée que l'édition littéraire allait concéder certains segments de son activité à des acteurs plus flexibles, moins exigeants et surtout meilleur marché que les maisons d'édition traditionnelles.

Pour pénétrer la forteresse de l'édition française, les nouveaux entrants se sont appuyés sur les technologies d'impression numérique, sur les solutions de commercialisation dématérialisées et sur la manne d'auteurs qui autrement n'auraient que la petite porte de l'édition à compte d'auteur pour publier leurs manuscrits. Bien que peu prestigieux, ces services d'édition à la demande, qui se donnent souvent l'apparence d'une solution d'auto-édition, se sont multipliés et offrent désormais une panoplie d'outils aux auteurs en mal de publication. Les procédés sont multiples, acceptent avec plus ou moins d'aisance les formats courants, mettent plus ou moins bien en forme les textes (et les images), et mettent en ligne les œuvres de manière plus ou moins adroite, permettant à un vaste public la lecture partielle ou totale, le téléchargement complet ou limité, l'achat à un prix plus ou moins avantageux...

Le self-publishing, l'auto-édition numérique est en marche. Encore à ses débuts, le procédé demande encore à être raffiné, les moyens techniques à être plus accessibles, plus souples, plus tournés vers le grand public. Mais il faut concéder que l'auteur motivé peut pour un budget modique, composer, éditer, produire et recevoir une centaine d'exemplaires de son œuvre sans jamais faire appel à une maison d'édition. Il (ou elle) peut les commercialiser via une boutique électronique, les vendre sur eBay ou bien faire la tournée des librairies de son quartier ou de sa ville. Il peut même les proposer en lecture gratuite sur le Web et les faire chroniquer par des sites littéraires, des blogs spécialisés, et pourquoi pas des éditions électroniques de journaux locaux ou nationaux.

Toutefois, un élément reste manquant dans le tableau : l'éditeur. En effet, les moyens techniques sont légions, mais les éditeurs manquent à l'appel. Et leur métier avec. Est-ce une bonne chose ? Je ne crois pas. Que l'on aime ou que l'on déteste le milieu des éditeurs français (ou d'ailleurs) n'a rien à voir avec la réalité du métier de l'éditeur. Si l'auteur reste l'acteur principal de l'œuvre, l'éditeur est plus que jamais le professionnel nécessaire pour assurer à cette dernière la diffusion qu'elle mérite. Et son métier ne repose ni sur les moyens financiers, ni sur ses connaissances en marketing, ni même sur son réseau d'influence au sein des supports de communication du livre. Le métier de l'éditeur repose essentiellement sur le recul de sa lecture. Car l'éditeur est avant tout un lecteur. Et cette lecture, extérieure et dépourvue de rapports de création avec l'œuvre, est le pendant de la réussite de tel ou telle, du succès et des ventes.

Cette réalité de l'éditeur comme partenaire a déserté de nombreuses maisons d'édition avec la financiarisation des stratégies commerciales, avec la prise de pouvoir des gens d'argent sur les gens de lettres et surtout avec la main-mise de la distribution sur toutes les étapes du métier. Le résultat est plutôt mauvais. Certes, le nombre de références est inégalé dans l'histoire de l'édition, mais la qualité générale de la production est médiocre, sans intérêt pour un public qui lit de moins en moins, émaillé de succès commerciaux qui servent de danseuses pour un peloton compact et homogène. Le remplacement des éditeurs souvent atypiques et même excentriques par des spécialistes du marketing et du commerce, plus contrôleurs de gestion que lecteurs et accoucheurs de talents a achevé le travail commencé par des directions corporate trop attachées à satisfaire les actionnaires que les lecteurs au bout de la chaîne.

Faute d'éditeurs, il a été facile aux marchands de papier imprimé de faire croire au premier venu qu'il ou elle pourrait être publié sans effort. Mais l'auto-édition numérique n'est qu'un miroir aux alouettes. Sans autres ressources que soi-même, sans relecteur, sans correcteur, sans attaché de presse, sans éditeur, sans commerciale et surtout sans libraire, le livre auto-édité est amputé de toute la partie émergée de l'iceberg. Que l'on aime ou pas, que l'on veuille ou non, l'aventure de la publication d'une œuvre est un travail collectif et on écrit rarement une œuvre pour soi seul. Ceux qui l'ont fait n'ont jamais ressenti le besoin d'en faire part à des tiers, encore moins de rendre publique leur production. Les autres ont définitivement besoin d'un coup de main.

Le Web 2.0 est articulé sur la culture du Read/Write, de la lecture/écriture. Il réintroduit dans notre société un espace de communication ancien qui était autrefois réservé aux esprits éclairés et aux favoris du pouvoir. Cette démocratie intellectuelle est encore naissante et se voit menacée tous les jours par les appétits d'ogres des grands groupes transnationaux, des acteurs clés de l'informatique, des aventuriers du net ou encore des états-nations. Ce Web 2.0 permet toutefois à un nombre très important de gens de produire de la littérature, des images, des films, des documents sonores et ainsi de véhiculer de la culture, de la pensée, de la sensibilité, du sens. Car le Web n'est pas seulement la poubelle de la frustration populaire. Derrière le vacarme, il y a des voix, des discours, des perceptions et des intentions. Comme toujours à travers l'histoire, il faut tendre l'oreille et passer beaucoup de temps à regarder, à lire, à s'imprégner de ce monde pour y faire émerger des contours qui valent la peine d'être aperçus.

C'est tout cela le travail de l'éditeur d'aujourd'hui. C'est cela la mission de l'éditeur à l'âge incertain et éphémère de la communication en temps réel. Il ne s'agit pas de se jeter de la poudre aux yeux. Seuls, les auteurs n'ont que peu de chances d'émerger. Que ce soit dans le domaine de la musique, de l'image, de la littérature importe peu. De tous temps, il a toujours fallu des articulations entre l'auteur et le public. Il n'est pas besoin de multiplier ces articulations comme nous l'avons fait ces dernières décennies. Mais il est nécessaire de retrouver la fonction de l'éditeur, tant vis-à-vis des auteurs que vis-à-vis des marchands d'impressions... Cet effort est nécessaire pour la bonne santé de la pensée et de la culture. Il est collectif. Et il est fondé sur la confiance entre les individus. Malheureusement, ce bien continue d'être en pénurie.

vendredi 17 juillet 2009

Livre numérique : quand les éditeurs nous prennent pour des imbéciles

Récemment le groupe Hachette, au travers de la société Carbone 4, a rendu publique son empreinte carbone, c'est-à-dire l'ensemble des émissions de gaz à effet de serre dans le cycle de vie des livres édités par le groupe en France. Il est de 178 000 tonnes de CO2 pour 163 Millions d'exemplaires publiés, soit en moyenne un peu plus de 1 kg par ouvrage fabriqué.

La même société (Carbone 4) a mesuré l'empreinte carbone des lecteurs électroniques. A défaut de chiffres réels pour ces produits, la société s'est basée sur les chiffres de consommation et d'assemblage des ordinateurs produits par l'ADEME (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie). D'après leurs calculs, les lecteurs électroniques auraient une empreinte carbone de 240 kg au cours d'un cycle de vie porté à seulement 3 ans, soit 80 kg de CO2 par lecteur. La conclusion du département communication de Hachette Livre, par la voix de son directeur, Ronald Blunden, est la suivante : nos livres papier sont moins nocifs pour la planète que les lecteurs électroniques.

Cette piètre manœuvre du plus gros éditeur de France est consternante et pathétique. Non seulement, les soixante quatre pages du rapport de Carbone 4 demeurent confidentielles, mais Blunden ne donne à la presse (Livre Hebdo, La Tribune.fr) que quelques éléments dénués de substance et très loin d'une vision écologique du métier du livre. D'autre part, on regrettera que l'étude ait été réalisée par une société, certes spécialisée, mais de parti pris, puisqu'elle supervise le comité de veille écologique de Nicolas Hulot, lui-même édité par Ronald Blunden chez Calmann-Levy. On regrettera enfin que l'étude ait totalement exclut l'activité fascicule du groupe Hachette qui n'aurait pas manqué de faire grimper tant la note que l'empreinte carbone de ce dernier. Mais le problème réel de ce rapport est bien la partialité des propos et une certaine forme de propagande contre la dématérialisation du livre.

Si le pilonnage (gaspillage courant et destructeur) a été inclut dans les principaux champs d'investigation de Carbone 4, aux côtés de la consommation d'énergie des locaux commerciaux, les déplacements des collaborateurs, la diffusion, la production et la distribution physique, le rapport ne porte que sur l'empreinte carbone, c'est-à-dire la pollution de l'atmosphère au CO2. Et bien que l'empreinte carbone du groupe soit, comparativement, le quart de celle d'une industrie lourde, elle reste deux fois et demi celle des services de télécom qui seront sans aucun doute le modèle de base de la diffusion/distribution/production des livres numériques. D'autre part, l'étude n'inclut aucune recherche sur les pollutions autres que le CO2, comme les procédés de production industrielle du papier, des encres d'imprimerie, des rotatives et machines d'impression, des machines de reprographie et de leurs composants (qui sont de plus en plus utilisés sur les tirages limités et spéciaux)... Normal, dans le domaine de l'impression industrielle, le nombre d'agents chimiques nocifs sont pléthoriques.

Mais la mascarade ne s'arrête pas là. Les chiffres avancés par le rapport Carbone 4 sur l'empreinte carbone des livres papiers sont annuels. Ils ne tiennent pas compte des ventes, mais des ouvrages publiés. Ce qui signifie que l'année suivante, ça recommence. Non sur de nouvelles références, mais sur une majorité écrasante de rééditions et de réimpressions, dont une grande part proviennent de la destruction et reconstitution de stocks. Ce qui veut dire tout simplement que la même référence ne cesse jamais d'être réimprimée, encore et encore, produisant plusieurs fois son empreinte carbone, ad nauseam. Et c'est d'autant plus vrai des ouvrages du domaine public qui continuent d'être imprimés massivement pour être insérés dans les programmes scolaires aux côté de manuels renouvelés selon des cycles très courts (4 à 5 ans).

L'ultime argument de la supériorité du livre papier sur le livre électronique en termes de respect de l'environnement est le mythe de la destruction des forêts. Depuis une vingtaine d'années, les grands groupes d'édition et les fabricants de papier se sont accordés sur une politique de Greenwashing (lavage en vert) de leur exploitation des domaines forestiers. Plusieurs labels, dont le FSC (Forest Stewartship Council), ont fait leur apparition pour attester du respect de l'écologie dans l'exploitation forestière. Mais en dépit de chartes éthiques, de réglementations et d'un effort de vertu, les forêts tropicales ont continuer de fondre comme neige au soleil, démontrant l'inefficacité des écolabels et surtout les défaillances dans la traçabilité des matières premières. D'autre part, la plupart de ces écolabels adhèrent aux réglementations en vigueur dans les pays d'exploitation qui acceptent de manière inégale et anarchique l'introduction de produits phytosanitaires nocifs dans les cultures d'arbres. Enfin, il y a l'introduction de l'impression asiatique pour nombre de références, notamment dans le secteur jeunesse, qui ne respecte aucune des conventions environnementales admises en Europe et aux Etats-unis.

Mais tout cela, Ronald Blunden le sait et il le dit lui-même, ce chiffre de 1 kg de CO2 par bouquin « ne veut rien dire, car nous n'avons pas de base de comparaison dans notre domaine. » (Livre Hebdo, n°767). Alors pourquoi dépenser quelques dizaine de milliers d'euros ? Pourquoi faire une communication d'influence discrète mais appuyée à l'encontre du livre électronique ? Pourquoi la faire suivre auprès de partenaires comme Bolloré Thin Paper ? Et surtout pourquoi nourrir une contre publicité vis-à-vis des lecteurs électroniques pour lesquels il n'y a ni chiffres, ni résultats, ni même de marché réel à l'heure actuelle en France ?

Je ne vais pas entrer ici dans les avantages des livres électroniques, de quelque marque qu'ils soient. J'aime les livres et le papier, mais je ne suis pas nostalgique. Il y a bien trop d'avantages à l'informatique dans tous les domaines de l'édition pour revenir en arrière. Il en va de même pour le lecteur électronique de livres. L'œuvre dématérialisée n'en est pas moins l'œuvre et le livre en papier n'a été, pendant un laps de temps assez long, que le système de conservation le plus pratique. Personne ne dit que les supports magnétiques soient meilleurs tant dans la longévité que dans l'accessibilité. Mais il faut se rendre à l'évidence, l'œuvre comme la production littéraires sont voués à devenir des objets immatériels dans le cybermonde. Alors que dire de cette résistance de la profession tant en France qu'en Europe ou aux Etats-unis ?

Il est difficile de savoir qui des fabricants de matières premières, des intermédiaires de transformation, des sociétés de diffusion et de distribution ou encore des éditeurs sont les plus réticents à la dématérialisation du livre. Il n'est pas difficile de voir que cette dernière va essentiellement profiter aux premiers intéressés et producteurs de savoir et de littérature : les auteurs. Et il n'est pas difficile de voir que tout un métier se sent menacé par la monté en puissance et l'émancipation des pourvoyeurs du produit dont ils font commerce. Mais tous les moyens sont-ils bons pour conserver l'ascendant, le pouvoir ?

L'édition française pèse près de 3 Mds d'euros de chiffre d'affaire annuel. Ce n'est pas un secteur de niche. Et son produit est injustement dévalorisé par une méconnaissance du contenu : le savoir. Il est regrettable d'en arriver à un tel poncif, mais la forme numérique des œuvres littéraires et plus généralement du savoir est une révolution au moins aussi radicale que l'a été l'imprimerie, il y a plus de cinq siècles. Tous les acteurs de l'édition le savent. Il est donc indécent, voire vulgaire, de prendre les acheteurs pour des imbéciles. Il est clair qu'à l'instar de la révolution de l'imprimerie, cette transformation de notre monde prendra quelques générations pour être complètement intégrée, digérée et que le livre devienne un objet d'art au même titre qu'une peinture, une stèle gravée, un parchemin ou un blason de chevalerie. Et contrairement à la tradition capitaliste, il ne sera pas nécessaire de sacrifier tel ou tel corps de métier sur l'autel de la modernité pour effectuer la transition vers un nouveau monde.

vendredi 10 juillet 2009

Le livre numérique, un projet d'avenir

En France, éditeurs, diffuseurs et libraires sont aux prises avec le casse-tête du livre numérique. Chacun, évidemment voit midi à sa porte.
— Les éditeurs essayent de protéger leurs droits de propriété dans un univers immatériel et volatile sans contrôle réel sur les échanges hors commerce.
— Les diffuseurs cherchent à verrouiller les systèmes de distribution pour éviter une concurrence anarchique et incontrôlable.
— Les libraires (chaînes de magasins comprises) cherchent tout simplement à survivre à la dématérialisation de leur place dans le circuit de distribution.

Côté chiffres, l'état des lieux n'est pas mauvais, ni même catastrophique comme il peut l'être pour le secteur de la musique sur CD, de la vidéo sur DVD ou encore de la presse dont l'agonie n'en finit pas...
Les chiffres ne sont pas mauvais, mais ils ne sont pas bons non plus.
— Les ventes augmentent en nombre de références disponibles sur le marché, mais baissent en volume par titre.
— Seulement la moitié de la population en capacité de lire a acheté au moins un livre en 2007, et seulement 10% de cette même population en a acheté plus de dix.
— Les ventes se font pour un quart chez le libraire, pour un autre quart chez les grandes surfaces spécialisées (FNAC, Cultura, Virgin, etc.), pour un autre quart dans les supermarchés, et pour un dernier cinquième auprès de la VPC (France Loisirs). La vente en ligne atteint péniblement les 8% en 2007 et frise les 9% en 2008.

La rentabilité est de son côté édifiante sur les réalités du marché et sur les pratiques du métier.
— Le chiffre d'affaire de la profession en 2007 était de près de 3 Md€, en progression de presque 4%.
— 70% du chiffre d'affaire de la profession était réalisé avec moins de 2% des titres disponibles sur le marché.
— Le montant des droits d'auteurs versés par les éditeurs ne représentait que 15% du CA total.

Que dire de ces chiffres, publiés pour l'essentiel par le CNL ?
Un regard critique donne un diagnostic pessimiste :
— Le marché du livre stagne. Il accumule le stock en termes de propriété intellectuelle, mais les ventes ne suivent pas.
— Le nombre de références augmente, gonfle les stocks disponibles, même si ceux-ci diminuent en volume par titre et que le recours à la destruction continue d'être une solution pour maintenir des flux de production constants et contrôlables.
— La librairie, malgré son discours optimiste, subit une lente érosion que subissent aussi les autres lieux de vente.
— Les auteurs sont mieux rémunérés qu'il y a un siècle, mais ils sont toujours la moindre part d'un marché pour lequel ils produisent 99% du contenu.
— La vente en ligne vient grignoter lentement (mais sans recul) les parts de marché de tous les acteurs en place, effet accentué par un récession économique mondiale. Les chiffres de 2009 devrait démontrer une augmentation constante et raisonnable des ventes en ligne pour un net recul des ventes physiques sur les lieux de vente classiques.

Alors quelles perspectives pour le livre et le marché du livre ?
Devant, il y a la dématérialisation du livre et de son circuit de distribution. Qu'on le veuille ou non, que l'on y croit ou non, le phénomène s'installe, prend de l'ampleur à mesure de que des francs-tireurs puissants sabotent les circuits classiques quitte à mener des politiques à la limite de la légalité en matière de droits d'auteurs.
Et ce n'est pas seulement le problème de Google qui met des centaines de milliers d'ouvrages en ligne via Mountain View.
C'est aussi les problèmes posés par un géant comme Amazon qui joue le jeu de la grande distribution, court-circuite les chaînes classiques de diffusion et de distribution et finit par étrangler les libraires quand ils ne les soumet pas à sa propre stratégie en devenant fournisseur.
C'est aussi le problème pour la francophonie de la suprématie absolue de la langue anglaise dans la production littéraire et dans les traductions.
C'est le problème de l'arrivée de géants démographiques comme la Chine et l'Inde qui ne se sont pas encore accordés avec les européens et les américains sur les droits d'auteurs... tout en constituant un marché énorme !
Enfin, il y a l'irruption d'un appareil intermédiaire entre l'ordinateur et le téléphone portable, le lecteur électronique, ou comme le nomment les québécois, la liseuse numérique. Sa forme finale reste incertaine, aussi bien que ces fonctions. Mais il est probable que dans cinq ans (comme ce fut le cas pour la téléphonie cellulaire) les appareils soient beaucoup plus performants et surtout qu'ils fassent naturellement partie du paysage culturel tant au foyer, qu'à l'école, à l'université ou dans l'entreprise.

Un coup d'œil prospectif sur les dix prochaines années nous dit que :
— Le format électronique va s'imposer sur le marché et la part de ventes en ligne va rejoindre les autres lieux de vente et en éliminer certains.
— Bien que les libraires soient les plus vulnérables sur le marché, ce sont les grandes surfaces qui vont souffrir le plus de l'émergence d'un modèle dématérialisé de distribution du livre. Le conseil en librairie reste une des meilleures influences d'achat, en parallèle avec la couverture presse qui tend de plus en plus à se dématérialiser.
— Le lecteur électronique va s'imposer non comme un appareil intermédiaire, mais comme un concept : celui de livre numérique, pour finalement être entièrement assimilé au livre.
— Les réseaux de distributions physique et les dispositifs de diffusion devront s'adapter à une nouvelle donne qui va fortement transformer les métiers, les entreprises et les méthodes.
— Les éditeurs devront faire face à la montée en puissance des auteurs qui se servent déjà des médias sociaux sur Internet pour faire connaître leurs écrits et faire la promotion de leurs sorties papier. Certains savent même organiser des sorties numériques à tirages ou à durées limités (et obtiennent des performances étonnantes).
— La profession devra accepter l'amplification de la concurrence amenée par de nouveaux entrants, par des transfuges de grandes maisons d'édition, par des auteurs réclamant leur totale indépendance et par des chaînes de distribution spécialisées sur le Web.
— Enfin, la profession devra faire face à la généralisation de la gratuité sur Internet.

De quoi disposent les acteurs du marché du livre aujourd'hui pour combattre sur le terrain de l'immatériel numérique en France ?
— Hachette possède Numilog et table sur les produits numériques Sony.
— La Martinière/Gallimard/Flammarion optent pour une plate-forme indépendante sans réelle politique claire vis-à-vis de son réseau.
— Electre joue les outsiders pivots alors que son métier reste la base de données et ses clients des libraires.
— Quelques indépendants tentent de vagues opérations périphériques mais sans réel impact, sans véritable volonté d'exposition et surtout dotées de moyens dérisoires.
— Et les autres regardent le spectacle...

A croire que tout le monde attend patiemment que le géant de la distribution web, Amazon, veuille bien trouver un « arrangement » avec un opérateur téléphonique et sorte son Kindle sur le territoire français.
Il est à craindre que le résultat ne soit désastreux pour le marché du livre en France. Il n'est pas besoin d'être devin pour imaginer immédiatement les répercussions sur les éditeurs indépendants et régionaux. Ce n'est pas tant que la société Amazon les excluent du marché. Mais il faut rappeler qu'un dispositif législatif complexe et plutôt bien ficelé protège le millier de petits éditeurs français qui se veulent indépendants. Et que les grands groupes média ne peuvent pas les faire disparaître dans une bouillie publicitaire et marketing comme le font d'autres groupes massifs dans bien des secteurs de l'industrie et de la distribution. Une fois Amazon aux commandes de la distribution en ligne, ces dispositifs et ces lois ne seront plus un obstacle, et il faudra des moyens inaccessibles à toutes ces petites maisons pour se distinguer dans la jungle « Amazonienne ».

Conclusion sommaire et consternante, les éditeurs français, petits et grands, n'ont strictement rien dans leurs corbeilles de mariées pour faire face à la transformation radicale qui est en train de s'opérer sous nos yeux.

On peut répondre à cette thèse par le silence, le mépris et/ou la plaisanterie. Mais l'histoire prouve que « rira bien qui rira le dernier ». Il n'y a donc que deux manières d'aborder ces transformations. Soit on tente de résister, soit on essaye de comprendre et de suivre la transformation en s'adaptant de manière pertinente aux nouvelles conditions.

Dans le premier cas, le rapport de force est à l'avantage du plus puissant. L'édition française devra combattre non seulement les transformation de son marché intérieur, mais aussi celles du marché européen et finalement celles du marché mondial. Bonne chance.

Dans le second cas, il est grand temps de regarder au delà des vieilles méthodes de grand-papa et de commencer à penser le marché dans les termes horizontaux tant dans la relation B2B que dans la relation B2C :
— Les librairies disparaîtront peut-être, mais pas les libraires. Ils ne seront plus les otages des réseaux de distribution et de diffusion.
— Les livres existeront toujours mais leur impression sur papier sera limitée. On continuera de faire imprimer à la commande pour des raisons pratiques et esthétiques.
— La distribution sera toujours cruciale mais elle n'aura plus la même empreinte carbone et n'emploiera plus le même nombre de personnes.
— Le stock ne sera plus un actif mais seulement un coût.
— La propriété intellectuelle verra sa valeur s'accroître mais ses revenus partagés plus équitablement.
— La promotion et les ventes reposeront sur l'expérience et non sur la promesse.
— Le succès se mesurera à l'aune de la réputation et non à celle du nombre de ventes.
— Le prix du livre ne sera ni unique, ni fixe.

C'est à ce genre d'idées que doivent maintenant réfléchir les éditeurs et les acteurs du marché du livre. Poursuivre dans d'interminables et minables débats sur les DRM, sur le piratage informatique ou encore sur les droits d'auteurs relatifs à la numérisation des livres est une pure perte de temps et un gaspillage. Nous n'avons pas de temps à perdre et nous ne pouvons nous offrir le luxe de laisser s'installer les ogres immatériels que sont Google, Microsoft ou Amazon.

Tous les acteurs du marché sont concernés. Ceux qui produisent comme ceux qui vendent, ceux qui écrivent et ceux qui lisent. Et personne ne doit faire les frais des révolutions économique et technologique en cours. Seuls ceux et celles qui refusent le débat, qui rejettent le dialogue et les échanges contradictoires seront les victimes directes ou collatérales des transformations actuelles. Il ne s'agit pas de savoir si nous lirons sur telle machine ou à la lumière de la lampe de chevet de grand-mère. Il s'agit de faire en sorte d'avoir encore une authentique pluralité de contenu et un choix véritable dans ce que nous voudrons lire demain.

lundi 6 juillet 2009

2025 : vers le tout nucléaire... extra-terrestre

Nos parents se souviennent encore du spectre de la crise énergétique au début de notre siècle. Les émissions de carbone dans l'atmosphère menaçait durement l'équilibre écologique et climatique de notre planète et la population mondiale prenait conscience de l'éventualité d'une catastrophe à l'échelle terrestre. Après avoir exploré de manière anarchique les pistes du solaire, de l'éolien, des forces maritimes et géothermiques et même envisager de transformer l'industrie pétrolière en industrie hydrogène, les principales agences de l'énergie en Europe et aux Etats-unis se sont accordées sur un programme nucléaire d'envergure sans précédent.
Le principal obstacle, rappelez-vous, était les dangers de la radioactivité du combustible associé à son extrême rareté et les difficultés de son exploitation. La solution est venue du programme spatial russo-chinois de 2012. Contre toute attente et dans le plus grand secret, les deux grandes puissances industrielles se sont implantées sur le satellite lunaire pour y installer des bases permanentes et des exploitations minières spatiales.
Disposant d'une technologie fiable et éprouvée, les russes n'ont pas eu de mal à déployer en seulement 24 mois, une infrastructure digne d'un film de science-fiction, puis à céder la place aux ingénieurs et techniciens chinois, spécialistes dans les sites d'exploitation compliqués. Le résultat n'a pas tardé à porter ses fruits. La qualité des minerais et du raffinage extra-terrestre a eu des retombées économiques et industrielles immédiates tant du point de vue énergétique, mais aussi sous la forme d'une formidable avancée dans les domaines de l'emploi, du transport et des technologies spatiales.
Empêtrés dans des contrats de lancements et de déploiement de satellites de communication et d'un marché spatial entièrement tourné vers la communication et l'observation terrestre, les européens et les américains ont tout juste eu le temps de se positionner comme des acteurs centraux du marché des centrales et des systèmes d'exploitation de l'énergie. La France n'a rattrapé son retard que très récemment, dix après l'inauguration de la première exploitation russo-chinoise.
Dans cette nouvelle ruée vers l'or lunaire, l'Inde et le Japon ont su aussi bien développer des équipements d'exploration, que de construire des composants et des véhicules de transport bien plus adaptés. Les deux pays ont également suivi leur concurrents, puis partenaires, dans la répartition du territoire lunaire. Cette dernière a évidemment fait l'objet d'une longue négociation au sein des Nations unies subissant des pressions diverses de la part des Européens et des Américains, largement dépassés et prisonniers de leurs modèles énergétiques.
En seulement quinze ans, les Cinq puissances lunaires (Russie, Chine, Japon, Inde, Brésil) ont permis le déploiement de dizaines de centrales nucléaires sur le sol terrestre dans des conditions de construction et de mise en œuvre limitant largement les risques encourus sur la surface. Dans le même temps, ces pays sont devenus les principaux bailleurs de CO2, ayant réduit leurs émissions à une part marginale de leur production énergétique. Les conséquences indirecte de cette conquête lunaire ont été entre autres l'effondrement soudain des cours des produits céréaliers et de la valeur des terres, la baisse substantielles du prix du pétrole et le très faible coût de l'uranium.
L'industrie nucléaire lunaire n'est cependant pas sans risques et les centaines de milliers d'ouvriers spécialisés le savent bien. D'autant que la Chine comme l'Inde se sont spécialisées dans le retraitement et la destruction des combustibles toxiques et radio-actifs. Les accidents sont courants, et les victimes se comptent alors par milliers. Mais le jeu en vaut certainement la chandelle : les flux migratoires ne cessent de s'orienter vers les grands centres spatiaux. Les salaires sont élevés, les conditions de retour très prometteuses et les profits générés par les géants industriels présents sont sans commune mesure.