mardi 1 décembre 2009

La fin du marketing, le retour de la propagande

Le marketing est mort...

dimanche 29 novembre 2009

Tendances prospectives pour le livre

Le modèle économique de l'édition repose sur la maîtrise du prix de vente et sur la distribution physique du livre. Par sa loi sur le prix unique du livre l'institution protège les intérêts des groupes de presse et d'édition. Par leur situation de monopole, une poignée d'opérateurs contrôlent parfaitement la distribution physique.
Trois innovations technologiques mettent en péril ce modèle :
— la transformation du circuit de distribution physique des livres,
— la dématérialisation de la lecture,
— le développement de moyens d'impression à la demande.

dimanche 22 novembre 2009

L'édition française est-elle encore soviétique ?

statues_flamboyantes1Antoine Gallimard vient de donner lors du Forum d'Avignon une interview au Figaro (le buzz média - Orange - Le Figaro) sur l'avenir du livre numérique. Encore une, dira-t-on. Mais cette fois, les termes employés par le patron de la prestigieuse maison d'édition rejoignent presque complètement les propos du patron de la maison Hachette, Arnaud Nourry, qui s'était prononcé quelques jours auparavant lors d'un petit déjeuner INA-Odéon. Les deux hommes, séparés par une barrière conceptuelle apparemment infranchissable, semblent étonnamment proches l'un de l'autre sur la question du livre numérique.

jeudi 12 novembre 2009

Le livre numérique est un livre comme les autres

Le livre va-t-il disparaître ? La question est posée de manière incessante depuis plusieurs mois devant la montée en puissance des messages d'apocalypse du livre. Il y a bien des voix pour dire que le livre est encore là et qu'il n'est pas prêt de disparaître. Mais peu écoutent la raison et beaucoup versent dans le catastrophisme, appelant chacun(e) à défendre le livre et les livres contre l'invasion numérique. Enfin certains démontrent comment le livre a toujours été un objet de transition et que sa forme importe peu tant que sa mission de diffusion de la mémoire est accomplie.

dimanche 1 novembre 2009

L'édition française contre le péril numérique

La fin de semaine étant rarement un moment de folle activité pour l'information régionale, Le Monde en profite pour sortir un volant d'opinions au titre accrocheur : le livre survivra-t-il à Internet ? Son casting est impressionnant : Arnaud Nourry [patron de Hachette Livre], Antoine Gallimard [héritier émérite et P-D.G. du groupe du même nom], Bruno Racine [patron de la BNF], Arash Derambarsh [Directeur de dépt. au Cherche-Midi], Rémy Toulouse [Directeur des éditions Les prairies ordinaires] qui font suite à Roger Chartier qui les a précédés de quelques jours.
L'édition française et les principaux représentants du livre sont là, en ordre de bataille, chacun avec ses arguments, pour lancer un bombardement massif contre Google et le péril numérique. Il y a cependant quelques absences notables comme celle de Editis, qui ne manque certainement pas de portes-paroles, ou celle de La Martinière, en procès avec le géant américain...

Les prophètes du monde nouveau

« Gardez-vous des faux prophètes. Ils viennent à vous en vêtements de brebis, mais au dedans ce sont des loups ravisseurs. Vous les reconnaîtrez à leurs fruits. Cueille-t-on des raisins sur des épines, ou des figues sur des chardons ? Tout bon arbre porte de bons fruits, mais le mauvais arbre porte de mauvais fruits. Un bon arbre ne peut porter de mauvais fruits, ni un mauvais arbre porter de bons fruits. Tout arbre qui ne porte pas de bons fruits est coupé et jeté au feu. C'est donc à leurs fruits que vous les reconnaîtrez... » (Mat 7/15-20)

mardi 20 octobre 2009

Pas de SMIC pour les écriveurs numériques


La SGDL (Société des Gens De Lettres) organise ces jours-ci un forum sur la révolution numérique de l'auteur. Une brochette d'invités compétents et experts, des thématiques d'envergure, l'événement a tout ce qu'il faut pour être intéressant. Une centaine d'auditeurs sont venus entendre ce que les acteurs ont à déclarer ou à raconter et espèrent, pour certains, participer à un débat sur les questions brûlantes qui émergent dans le petit monde de l'édition.

dimanche 18 octobre 2009

Google Edition... Quelle surprise !

L'AFP titrait aujourd'hui : A la Foire de Francfort, fureur contre Google et sa bibliothèque numérique. On s'attendrait à un esclandre, des échanges d'invectives et pourquoi pas des coups et des bagarres. D'un côté les éditeurs allemands, outragés et furieux, lançant des œufs pourris sur les représentants de Google. De l'autre, les costumes-cravates armés d'une brief-case en aluminium et d'une oreillette bluetooth, fuyant en évitant les jets de projectiles sous les quolibets de la foule enragée... Et bien non, ce tableau serait plutôt celui des récents événements dans les usines de Picardie, ou les manifestations de paysans sur les Champs. Mais à Francfort, qui n'est pas que la patrie de la saucisse, la « fureur » s'illustre par une interview donnée par un agité local, l'équivalent de notre Finkielkraut national. Puis elle se double d'une petite phrase condescendante d'un ténor du barreau allemand chargé de défendre les intérêts du syndicat du livre d'outre-Rhin... Le seul personnage raisonnable de la troupe est le commissaire européen chargé du multilinguisme, Leonard Orban, qui estimait qu' « il faut assurer l'accès du public aux livres, si possible gratuitement, mais il faut aussi protéger les auteurs » (AFP). Une déclaration diplomatique à la mode bruxelloise, sans saveur, sans consistance, que toutes les parties pourront reprendre à leurs sauces.

jeudi 15 octobre 2009

Google Books : des fantasmes et des légendes...

La cadence des coups de théâtre se précipite. L'imaginaire enfle comme le crapaud de la fable et pourrait bien exploser avant d'avoir atteint la taille du bœuf. La presse s'indigne. L'édition mass-market se divise. Les politiques ne savent plus où donner de la tête ou de la pommade. Tout le monde panique. La peur, irrationnelle et viscérale, semble paralyser la raison et laisser libre court aux fantasmes les plus débridés. Elle devient la forge de légendes contemporaines et technophobes.

mercredi 7 octobre 2009

Le livre résiste-t-il au numérique ?

Le livre est redécoupé et redéfini depuis bien avant l'ère numérique. C'est, comme l'esquisse Jean-Michel Salaün, le propre de la lecture de recherche, la lecture annotée, les exégèses et autres commentaires savants. Mais je ne le suis ni sur la résistance temporelle du livre ni sur sa différence fondamentale avec la durée de l'œuvre cinématographique, ou celle de l'œuvre musicale.


lundi 5 octobre 2009

Le lecteur s'impose : de l'avenir pour l'édition numérique... [2]

La diffusion massive des outils de communauté(s), ou social media, transforme la nature des rapports que nous entretenons avec l'information et avec le savoir. D'une société de la connaissance relativement verticale, nous passons à une société de l'information très horizontale. D'une méthode de transmission et de diffusion décidée par un centre, nous passons à des méthodes de transmission et de diffusion multiples élaborées par le chevauchement de ces mêmes méthodes et par les usages qu'en font les utilisateurs. Cette transition a parfaitement été identifiée et intégrée par une firme comme Google qui joue sur ces leviers multiples permettant aux utilisateurs de faire triompher leurs désirs.

lundi 28 septembre 2009

Tout doit disparaître : de l'avenir pour l'édition numérique... [1]

Ce billet est le premier d'une série consacrée aux transformations des métiers du livre. Le premier s'intéresse au rôle des grands groupes d'édition.


L'explosion numérique, doublée de l'explosion de la communication, bouscule le monde de l'édition. C'est le moins que l'on puisse dire. Mais curieusement, plutôt que de chercher à comprendre quels sont les termes et les changements qui vont s'opérer dans les prochaines années, les tenants de titres sont obsédés par les causes de la bousculade et cherchent plutôt à réduire, ou tout du moins à minimiser, de nouveaux risques. Le regard tourné vers le passé et le dos au futur immédiat, les groupes d'édition européens et anglo-saxons espèrent résister et conserver l'intégrité de leurs univers derrière un bouclier juridique obsolète, localisé et impraticable du point de vue planétaire.

dimanche 27 septembre 2009

BookCamp : tous les jours...?

BookCamp2 est un rassemblement, ce que les britanniques appelleraient volontiers a gathering.
On se croirait dans les Mailles du réseau mais en vrai, sans le maquillage littéraire de l'auteur de romans : un lieu ni anonyme, ni froid. Au tableau, un programme inscrit à la craie. En face, un assemblage hétérogène, armé de dispositifs divers, qui de son iPhone, de son Android, de son MacBook, de son carnet de notes, de son enregistreur numérique, de son appareil photo, de son micro... Des hommes, des femmes en nombre suffisamment équilibré pour que l'on ne puisse pas s'exclamer que le numérique est un truc de mecs. De multiples générations, même si ce sont ceux et celles nés entre 1975 et 1990 qui dominent en nombre... Logique.

Vivre en 2025 : Codex

« One Ring to rule them all, One Ring to find them,
One Ring to bring them all and in the darkness bind them »
The Lord of the Rings, J.R.R. Tolkien


Codex est la mère de toutes les bases de données documentaires de la planète. La source de tous les fragments, de tous les extraits, de toutes les références, de tous les items dans toutes les langues et dans toutes les écritures connues. Codex est entièrement articulé sur le projet Archiva, lancé en 2011 par le moteur de recherche Google avant que ce dernier ne devienne l'API universelle HyPerPro (Hyper Perception & Processing) qui équipe aussi bien les Miss/eCom, les prothèses oculaires, les écrans transparents de véhicules ou les cloisons intelligentes de résidences. Archiva avait pour mission la digitalisation globale de tous les patrimoines bibliothécaires des cinq continents. Bien que la mission soit encore en cours, les grandes institutions transnationales des Nations unies se sont accordées pour unifier les savoirs et les connaissances du patrimoine mondial au sein d'un seul et même objet livre : le Codex.

jeudi 24 septembre 2009

Google books contre le reste du monde... de l'édition

Tout ce que vous avez voulu savoir sur la question et même plus et que vous n'auriez jamais pensé trouver sur le web, gratuit, disponible, clair et complet.
C'est ici, chez affordance.info.
Je n'ai rien d'autre à ajouter.

jeudi 10 septembre 2009

Google triomphe, l'édition française est outragée

Alors que Google a conclut son accord numérique sur une simple décision de justice, l'édition française est en émoi. Entre les fausses déclarations d'un Jean Arcache (Place des éditeurs) qui ne craint pas le piratage (de quoi parle-t-on ?) et un Arnaud Nourry (Hachette livres) qui donne de la voix dans le Figaro, les professionnels de l'édition sortent enfin de leur réserve et de leur inertie. Emboîtant le pas, la SCAM (Société Civile des Auteurs Multimédia) déclare dans un jargon équivoque que les décisions de justice américaines ne s'appliquent pas à la France.

dimanche 30 août 2009

Le numérique va-t-il faire disparaître le papier ?

Pendant que les géants de l'électronique, du web, de l'informatique et de l'imprimerie tentent de se tailler les parts déterminantes du marché du livre électronique, en France comme ailleurs, la question qui hante les esprits est : le livre va-t-il disparaître comme ont disparus avant lui les disques ou le cheval comme moyen de transport ?

La question est absurde. Le livre n'est pas un dispositif technologique comme les autres. Si la voiture, le téléphone à fil ou tout simplement la cuisinière se sont améliorés au fil du temps, cédant la place à des modèles plus performants, moins coûteux, plus maniables, c'est dû, en grande partie, à la longévité relativement courte de ces inventions. N'étant présents dans la vie des gens et des sociétés que depuis quelques décennies, parfois un ou deux siècles seulement, la plupart des objets et instruments technologiques que nous utilisons en sont encore à leur période initiale de transformations afin de s'adapter aux usages.

Le livre est parmi nous depuis plusieurs siècles si on ne considère que la révolution de l'imprimerie comme point de départ, mais plus de deux millénaires si l'on s'en tient au papier manuscrit. Au fil de ces centaines d'années, le livre, et le papier qui le constitue, ont subit de nombreuses mutations, d'innombrables expériences et n'ont finalement gardé que les usages que l'on en fait aujourd'hui. Le livre est ainsi constitutif de la construction de nos sociétés modernes au même titre que la pelle, la chaussure, le peigne, le verre, la fourchette et le couteau... Il est bien plus ancien que la montre, le fusil, la voiture (même à cheval), les lunettes ou le télescope. Et il est une antiquité comparé à l'ordinateur personnel, le téléphone mobile, le survêtement en élastane, l'avion ou la moto.

Alors pourquoi ce conflit entre le livre papier et le livre électronique ? Si ce n'est pas le support dont il est question, alors les enjeux du conflit reposent certainement sur le contenu. Car le livre existe en tant qu'objet singulier, vierge, sans contenu autre que celui que l'auteur(e) va y consigner. Ce qui rend le livre précieux, c'est ce qu'il y a dedans. Et ce contenu, numérisé systématiquement depuis plus de 20 ans, est l'enjeu principal de la guerre du livre numérique. Car il faut se remettre en tête que tous les contenus littéraires produits depuis l'introduction de l'informatique dans l'imprimerie et l'édition sont issus de technologies numériques avant d'être imprimé sur papier.

Ceux qui contrôlent, en amont, les sources numériques sont les véritables maîtres de l'édition et donc de la diffusion du savoir, des idées, des récits, de l'histoire avec ou sans majuscule. C'est pour détenir ce pouvoir que les géants se livrent une guerre commerciale et industrielle totale. Il n'est pas besoin de sortir d'une grande école pour comprendre ce que signifie un monopole sur la connaissance, fût-elle de la fiction. Si autrefois, les auteurs craignaient le plagiat ou le pillage en remettant leurs manuscrits aux éditeurs, cette fois, c'est aux éditeurs de craindre le pire en laissant des marchands de composants électroniques, des vendeurs de papier et des négociants de bande passante décider de la diffusion des livres qu'ils produisent dans leurs maisons.

Il est clair que les puissants Amazon, Google, Barnes & Noble, Microsoft, Sony et d'autres ne cherchent pas à défendre la diffusion du savoir et des idées. Jean-Noël Jeannenay, ancien directeur de la BNF, en faisait état récemment dans Le Figaro, répétant le message qu'il avait déjà développé dans son livre sur la question du numérique [Quand Google défie l'Europe : plaidoyer pour un sursaut, Mille et une Nuits, Paris, 2005]. Et c'est cette libre diffusion de la connaissance qu'il s'agit de protéger et non de savoir si les lecteurs numériques vont fleurir au Printemps prochain. Il ne s'agit pas non plus de rester bêtement assis sur son fauteuil et croire que tout ça va se tasser et tout reprendra comme avant après l'averse. Les corporations en marche à l'heure actuelle, dont aucune n'est française, n'ont pas besoin de savoir quel lecteur électronique est le meilleur, ni même d'un lecteur électronique, pour parvenir à leurs fins.

En contrôlant les fichiers numériques des livres, elles contrôlent l'édition, la publication et la disponibilité de ces mêmes ouvrages. Ni plus ni moins. En contrôlant le patrimoine littéraire public ou privé, elles contrôleront aussi les futures publications, l'avenir des genres littéraires, les potentiel(le)s auteur(e)s et le type de savoir(s) qui seront diffusés. La guerre actuelle est territoriale (comme toutes les guerres). Elle détermine qui contrôle quoi dans le monde numérique de demain et cela à l'insu de la volonté populaire, contre les acteurs historiques de la diffusion du savoir et sans se soucier des conséquences réelles sur les générations à venir. C'est une guerre transversale, qui s'inscrit dans la globalisation au sens où l'entendent des sociologues comme Saskia Sassen. Et c'est une guerre menée par des champions du marketing et des techniques de maximisation des profits commerciaux contre les artisans de l'édition et des métiers de valorisation des singularités esthétiques et intellectuelles.

Non, le numérique ne tuera pas le livre, ni le papier. Mais il risque bien de tuer le contenu. Car il se propose non seulement de numériser le monde de la pensée et de l'imaginaire, mais aussi de le mettre en coupe réglée afin d'en tirer le plus gros paquet de fric. Ceux et celles qui n'accepterons pas, n'auront qu'à retourner donner des cours à la fac ou au lycée. Et pour les éditeurs, la note sera salée. Faute d'avoir réussi, ces dernières décennies, à marchandiser le livre, les groupes d'édition doivent maintenant faire face aux colosses du web et de l'informatique grand public qui tentent de marchandiser ce qui est dans nos têtes. Hier, Patrice Lelay, ex-P-D.G. de TF1, prétendait vendre à Coca-Cola du temps de cerveau disponible. Demain, ce sera peut-être Eric Schmidt (actuel CEO de Google) qui proposera à Coca-Cola d'entrer directement dans nos cerveaux sans avoir besoin de les divertir, et sans faire le moindre mal...

jeudi 27 août 2009

Edition numérique : la tentation de l'open source

Licence globale et open source offrent des modèles économiques éminemment intéressants pour le développement de propriété intellectuelle. Quoi de plus normal de les voir portés sur le devant de la scène comme modèles économiques potentiels pour l'édition de livres numériques.

La licence globale est un concept simple et particulièrement attractif. Tous les auteurs sont rémunérés sur un prélèvement direct sur les recettes des diffuseurs et des opérateurs. Le système est juste puisqu'il dit clairement une réalité souvent occultée : le contenu détermine la qualité du service. Mieux, le contenu est la seule qualité du service. Sans contenu, le service devient donc inutile. Il est logique d'attribuer une part des bénéfices du service à ceux et celles qui ont produit le contenu. C'est théoriquement le système adopté par des organismes de gestion de droits comme la SACEM. En pratique, les dérives sont nombreuses et la licence globale a cela de pervers qu'elle bénéficie essentiellement aux entités juridiques mandatées et à la frange minoritaire des auteurs ayant la meilleure notoriété, amplifiant d'autant leur influence.

L'open source procède d'un autre principe qui pourrait être comparé à celui des artistes d'antan qui devaient d'abord composer et en cas de succès recevaient une compensation financière ou en nature, voire des bénéfices indirects. L'open source procède donc de ce principe de montrer pour être apprécié. Mais contrairement aux usages de ce procédé vernaculaire, l'open source est également un consensus général d'une profession, ou plutôt d'un secteur complet et complexe. Il s'agit d'un système spontané de veille et de recherche et développement collectif, pluriel et sans réel contrôle. Essentiellement alimenté par les contributions des acteurs effectifs du monde de l'informatique, l'open source est un front constant d'innovations qui bénéficient à la fois aux développeurs qui contribuent mais aussi à l'ensemble de la filière, voire du secteur entier avec des débordements éventuels. Doté de règles informelles mais codifiées de propriété, l'open source peut apparaître gratuit ou relativement peu onéreux. Mais l'absence de transaction commerciale ne signifie pas l'absence d'économie réelle et marchande.

Les deux modèles sont apparentés et pourraient préfigurer un nouveau modèle économique pour bien des secteurs de pointe où le développement et la nécessité d'un travail en constant renouvellement sont de rigueur. Malheureusement, le principe de licence globale reste circonscrit à des problématiques d'attributions de droits de propriété intellectuelle et l'open source continue d'être financé en partie sur les salaires que versent les PME et les grands groupes de l'industrie informatique aux développeurs, ou bien sur les deniers publics qui financent les cycles longs de ces mêmes professions. Plus rarement, l'open source est financée sur le temps libre de contributeurs. En dépit de ce manque absolu de soutien économique réel (à quelques exceptions près) de la part de l'industrie elle-même, l'open source continue d'essaimer et de faire progresser, par principe mécanique, les plus gros opérateurs de cette même industrie.

On peut donc se demander si l'open source et la licence globale ne seraient pas des composantes probantes pour le secteur de l'édition qui devient la cible de choix de la numérisation des contenus. En effet, en appliquant le principe de l'open source, il serait possible de publier une œuvre, section par section et examiner étape par étape le progrès de l'audience et bénéficier des réactions et des commentaires des lecteurs. L'éditeur serait alors une sorte d'animateur de communauté spécialisé autour du ou des auteurs qu'il ou elle aurait à faire connaître du public.

Au fur et à mesure de la constitution d'un public, il serait alors possible de valoriser l'œuvre et moyennant une prise de responsabilité des lecteurs vis-à-vis de l'auteur, il serait possible d'envisager une rémunération directe. En introduisant le mécanisme de la licence globale dans l'équation, il serait même envisageable de libérer les lecteurs d'un prise de responsabilité financière, ou plus simplement d'un achat, en rémunérant l'auteur sur une part du prélèvement échut pour la licence globale et permettant de jouer complètement sur le levier de la gratuité.

On peut alors imaginer les sociétés d'édition comme d'authentiques sociétés de lecteurs, regroupés autour d'éditeurs-animateurs et d'un ou plusieurs auteurs. Rejoignant parfaitement le concept communautaire, ces sociétés pourraient même être coopératives ou collaboratives, permettant aux lecteurs de préfinancer des auteurs comme des sociétés de lecteurs financent des journaux, ou bien même de collaborer à l'écriture par divers degré d'interaction et d'échanges. Dans certains cas, il serait même difficile de distinguer les auteurs, les éditeurs et les lecteurs-contributeurs.

Dit comme cela, c'est plutôt séduisant. Mais il y a une fausse note dans la partition : le livre, même collectf, n'est pas un produit de consommation. On peut débattre ad vitam sur la frontière entre un produit de consommation et un livre et n'arriver à aucune solution, sinon des polémiques sans fin et des antagonismes irréconciliables.

En revanche, il est possible de dire que le livre repose sur quatre facteurs clés :
— l'intention de l'auteur,
— la recherche du lecteur,
— la vision de l'éditeur,
— la nature protéiforme du livre.

Si de rares auteurs acceptent la collaboration et l'écriture « collective », il faut bien reconnaître que l'écrasante majorité se livre à un exercice solitaire et intime qui ne s'accorde pas, au cours de sa phase de travail, avec l'intrusion extérieure. L'intention de l'auteur s'oppose de manière radicale au regard de l'autre. Au point que pour beaucoup, la simple remarque ou commentaire anodin peut remettre en question le travail. Ce dernier est essentiellement secret et le processus de libération par lequel l'auteur couche sur le papier/clavier sa mémoire et sa pensée demeure éminemment opposé à la participation, même sympathique ou amicale. L'auteur est donc souvent (mais pas toujours) dans une posture de révélation.

De l'autre côté du miroir, le lecteur n'est pas un passant innocent qui s'arrête par distraction sur une œuvre. Lire un livre est une action particulière et un effort singulier. Au delà de la gymnastique visuelle et intellectuelle du déchiffrement et de la compréhension, le lecteur est en quête pendant sa lecture. Il ne lit pas mécaniquement mais en projetant sa propre histoire, ses schémas de pensée, sa culture... La difficulté de son choix (celui d'être lecteur) est d'ignorer a priori la piste qu'emprunte l'auteur. Il peut utiliser de nombreux subterfuges pour essayer de contourner cette difficulté comme de lire des critiques, des commentaires, des éloges promotionnelles, des testimoniaux, voire même se faire raconter la chose par un autre lecteur. Cela ne lui procurera aucune des sensations de sa propre lecture.

Entre le lecteur et l'auteur se trouve une figure ambiguë et énigmatique, l'éditeur. Je ne parle pas ici du marchand de soupe mais de ce lecteur assidu, fidèle ou chevronné qui aime lire au point de vouloir en faire la promotion à tout prix. Cette passion (et elle est toujours vive chez de nombreux éditeurs) le positionne non comme médiateur entre le lecteur et l'auteur, mais plutôt comme un visionnaire. Car l'éditeur n'est pas seulement un passeur entre un auteur et son ou ses lecteur(s). Il est aussi l'élément fédérateur et souvent invisible d'une certaine idée, d'une forme de pensée, d'une école, ou même d'une idéologie. Au travers de son travail de sélection d'une part et de promotion et de diffusion d'autre part, l'éditeur évangélise et partage sa vision du monde au travers de cette double relation, à la fois ambiguë et parfaitement inexplicable.

Enfin, il y a la nature protéiforme du livre. Sa lecture est une expérience de sensations contradictoires, de bousculades intellectuelles, de résistances et d'adhésions, de combats victorieux et de capitulations. D'autre part, le contenu couvre une variété de sujets, de thèmes, de styles, de formes littéraires d'une diversité presque sans limites si l'on considèrent toutes les spécificités linguistiques. Il devient alors impossible d'en dresser un catalogue exhaustif des catégories possibles, comme l'essayent régulièrement les mauvais critiques littéraires et les banquiers de l'édition. Le livre est multiple pas sa forme, par son contenu, par les forces invisibles au premier coup d'œil qui sont à l'œuvre. Se fier aux caractéristiques normatives issues de la reproduction industrielle est déjà se tromper sur la nature véritable du livre qu'il soit édité sur papier ou bien sous la forme d'un fichier numérique.

A eux seuls ces quatre facteurs sont des obstacles insurmontables pour les modèles économiques des nouvelles technologies. Ils s'opposent à la culture de l'open source, car ils ne sont ni « open », ni « global ». Chaque livre est une aventure individuelle, singulière, prenante pour chacun des acteurs de sa production. Et je ne parle pas seulement des « œuvres ». Un simple guide pratique de couture peut se révéler une véritable odyssée éditoriale et s'avérer un best-seller inattendu.

La tentation est grande de vouloir s'orienter vers des modèles ouverts, coopératifs, relationnels pour permettre à l'édition numérique de trouver une nouvelle économie. Mais la singularité du livre, ou plutôt des livres, réduit à néant ce type de modèles qui s'articulent sur des mécanismes transparents et sur des attentes identifiables. La relation subtile qui lie l'auteur, l'éditeur et le public est alchimique et se manifeste sous la forme du livre. C'est une fois que le livre existe que la machine communautaire peut enfin se mettre en marche et remplir son office. Et c'est une fois que le livre est tombé dans le domaine public qu'il est nécessaire de l'intégrer dans un dispositif open source.

Il m'est impossible d'imaginer qu'un monument comme Les Essais (Montaigne) ou bien un opuscule incisif comme L'Ame de l'homme sous le socialisme (O. Wilde) auraient pu être composés ou écrit en Open Source. Pourtant je crois que dans un proche avenir, à l'instar de certaines expériences comme Wikipedia, des agrégations de savoirs et de textes seront d'authentiques corpus issus du Web 2.0. Mais pourrons-nous continuer à les appeler des livres ?

Je ne le crois pas.

lundi 24 août 2009

Livre numérique : Googleheit 451

En 1953, Ray Bradbury imaginait un monde où le livre était interdit, détruit à vue. En faisant à la fois une critique virulente du Maccarthisme et de l'apathie générale, il offrait au livre une ode pour la postérité. Interrogé récemment par la presse américaine sur l'impact du Web sur le livre et sur la diffusion du savoir et de la littérature, Ray Bradbury s'était montré à la fois hostile à cette invasion numérique et d'un scepticisme irréductible quant à la capacité du web à supplanter le livre sous une forme numérique quelle qu'elle soit.

On peut débattre de la position de Bradbury. Mais force est de constater que la guerre du livre numérique prend des allures de véritable croisade contre Google, défendu par peu et attaqué de tous côtés. En acceptant des règlements amiables à coups de dizaines de millions de dollars et en signant récemment des accords avec de prestigieuses institutions, Google apparaît comme un conquérant prêt à avaler la totalité du fond littéraire mondial. Fort d'un moteur de recherche spécialisé, Google Books, qui fonctionne bien et rend de réels services, et disposant d'une puissance de feu financière avec laquelle aucune institution culturelle au monde ne peut rivaliser, le géant du Web est en mesure de faire des propositions que nul ne se sent de refuser.

Face à lui, l'opposition se construit sans pour autant présenter un front uni comme le prétendent nombre de titres de presse dans leurs récents articles sur le sujet. D'un côté les activistes, les militants du gratuit et de la diffusion, comme Internet Archive, qui souhaitent poursuivre leur œuvre de conservation tout en permettant une ouverture à 360° du fond patrimonial et culturel. A leurs côtés, Microsoft, pionnier du monopole culturel, apôtre des DRM et des systèmes fermés, traîné à de multiples reprises devant les tribunaux pour ses monopoles de fait et son intense action de lobbying. Il y a aussi Amazon, incontournable et lui aussi champion des DRM et des monopoles de fait, n'hésitant pas à effacer des produits vendus à ses clients sans autre forme de négociation qu'un vague remboursement sous forme d'avoir. Jouant sur les similitudes, cette union improbable a pris le nom de OpenBook Alliance (qu'il ne faudra pas confondre avec Open Content Alliance). On pourra toujours se demander de quels livres ouverts parlent ces ardents défenseurs du verrouillage et farouches opposants à toute forme de partage... auquel ils préfèrent le terme de piratage.

Il ne reste pas moins que l'offensive de Google comporte des risques impossibles à mesurer aujourd'hui. En dépit de la devise de la maison : do no evil (ne pas faire le mal), un monopole de fait sur l'exploitation et la diffusion de propriété intellectuelle littéraire est la porte ouverte à la disparition pure et simple de ce qui pourrait s'avérer encombrant, gênant ou tout simplement en dehors des intérêts privés de l'entreprise. D'autre part, cela aura pour effet d'accélérer la transition vers le livre numérique et cela en dépit de la fracture numérique mondiale, du libre choix des lecteurs et surtout de la position des ayants droits, éditeurs et auteurs confondus. Tout comme le vynil a cédé rapidement la place au CD sans pour autant que les consommateurs aient leur mot à dire, une transition brutale pourrait avoir lieu dans le secteur du livre. Et ce ne sont pas les déclarations rassurantes de Jean Arcache, P-D.G. de Place des éditeurs, dans un récent entretien avec Challenges.fr qui sont de taille à arrêter une déferlante qui sera pareille à l'irruption de la VHS, de la K7 audio, ou du DVD.

C'est d'ailleurs là que le bas blesse, dans la faiblesse de l'argumentation des acteurs réels du secteur livre : les éditeurs et les auteurs. Si ces derniers attendent de voir ce que leurs éditeurs vont dire, les premiers s'illustrent par quelques déclarations peu convaincantes. On y lit la certitude du status quo, la persistance des modèles existants et la longévité extraordinaire du livre papier qui « a déjà été piraté avec l'invention de la photocopie et il s'en est bien sorti » (Challenges.fr - 21.08.09). C'est sous-estimer le courant naturellement centrifuge du web. Et c'est surtout occulter l'évolution des outils sociaux et des moteurs de recherche vers des rythmes de temps réel.

La récente affaire de 1984, de George Orwell, effacé avec quelques autres titres des appareils de la firme Amazon démontre la rapidité avec laquelle les opérateurs peuvent agir dans un marché électronique. Elle démontre aussi l'imminence du temps réel qui permettra de connaître une sortie, une mise en ligne, une actualité au moment même où elle se présentera sur un média, quel qu'il soit : télé, radio, presse, web ou même tout simplement dans la rue au moment où il se déroule. Cette instantanéité permettra aux utilisateurs les plus avertis (et certainement les plus influents car les plus rapides) de fabriquer la réputation d'un produit, d'un événement, d'une sortie, d'une intervention... Dès lors, le maigre délai de commercialisation qui restait aux produits culturels avant d'être livrés dans l'espace public à la critique, au partage, au détournement ou au franc succès sera réduit aux quelques jours de sa sortie.

Dans un tel monde, quelle place pour des processus de maturation éditoriale qui sont la règle d'or des éditeurs ? Quelle place aussi pour les numerus closus imposés par des moyens de production et d'investissements limités ? Si l'auto-édition sur le web séduit tellement c'est que les auteurs en herbe ont compris que le temps des happy few est dépassé. La proximité et la simplicité des offres sur le web est telle qu'il très difficile de résister à la tentation pour l'auteur et bientôt pour l'éditeur. Et c'est cela qu'a compris Google depuis l'introduction de son moteur de recherche sur le web. Dès ses débuts, le géant a toujours copié des méthodes de bibliothèques pour finalement s'en éloigner progressivement et obtenir le succès qu'on lui reconnaît.

Faute d'actions concrètes à ce jour de la part des éditeurs, ce sont les bibliothèques qui vont pouvoir venir sur le devant de la scène. Elles prendront la suite en bénéficiant des stocks d'invendus et de donations. Car il faudra bien liquider les stocks faute de pouvoir les écouler sur un marché dématérialisé et faute de pouvoir, comme dans le chef d'œuvre de Bradbury, les brûler tous pour faire de la place. Les bibliothèques n'ont rien à craindre du livre numérique. Elles sont les vraies bénéficiaires de la révolution en marche. Car leur fonction patrimoniale leur permet de conserver aussi bien le contenu de l'œuvre, de préférence sous un format ouvert comme l'ePub que l'ouvrage physique sous sa forme originale. Mieux encore, les bibliothèques seront les premières à bénéficier des nouvelles technologies d'impression de livres à la demande.

L'EBM Hardware (de la firme OBB) n'est que la première machine à fabriquer des livres à la demande mise sur le marché. Compacte et accessible, elle offre la possibilité, comme son nom l'indique, d'imprimer un livre au format classique avec couverture traditionnelle et reliure dos carré collé, à la pièce d'après un fichier numérique. Le défaut de ce procédé est le contrat obligatoire avec un géant de la distribution américaine, Ingram, au travers de sa filiale spécialisée dans les petits tirages, Lightning distribution. Car chaque fois qu'il y a une innovation technologique, il est certain qu'un acteur majeur se positionne en amont pour toucher la rente. Mais ce pionnier ne tardera pas à être copié en mieux par des spécialistes de l'impression numérique comme Canon, Xerox ou Minolta, tous désireux de se tailler une part du marché. Sous peu les modèles seront multiples et les investissements dérisoires.

Ce procédé souple et pratique, reproduit à des milliers d'exemplaires, préfigure probablement la nouvelle librairie numérique. Des tirages limités, sur mesure et sur demande, d'après un catalogue en ligne directement géré par les éditeurs eux mêmes. La portabilité et la transopérabilité des formats seraient de rigueur et demandent, d'ores et déjà, que le puissant syndicat de l'édition s'occupe de créer une véritable unité de travail afin d'établir des normes et des règles avant que les vendeurs de cartons, d'encres et de papier ne les devancent auprès des distributeurs et des prestataires traditionnels. Les librairies pourraient ainsi conserver leurs formes actuelles et les éditeurs leur rôle initial aussi bien que leur volet de diffusion. Seuls les systèmes de logistique et l'impression seront fortement ébranlés par la transition.

Le livre numérique n'apporte rien en soi, mais les éditeurs, les libraires et les auteurs peuvent bénéficier largement de cette nouvelle technologie et permettre au livre de rester le vecteur principal de diffusion du savoir et de la culture. L'intérêt de cette révolution est de pouvoir réduire des étapes lourdes et désormais inutiles dans le secteur de l'édition. Dans un dispositif d'impression à la demande sur le lieu de vente, les lecteurs numériques demeureront un accessoire marginal, réservé à des professionnels et à des utilisateurs et lecteurs gourmands. La mutation du livre pourrait donc avoir lieu sans pour autant faire disparaître le livre qui deviendra lentement, au rythme qui est le sien depuis toujours, un objet encore plus précieux qu'il ne l'est déjà.

Car le livre, qu'il soit numérique ou papier, n'est pas un objet de consommation. On ne consomme pas de la culture ou du savoir. Et il s'agira pour l'Etat de reconnaître que le livre ne se limite pas à sa parution papier et donc d'étendre les dispositions fiscales relatives au livre, à la presse à l'édition d'art à ces contreparties numériques, et ce sur toute la chaîne de fabrication, dès l'écriture jusqu'à la lecture. Une baisse de la TVA aussi bien sur les ventes électroniques de livres que sur les lecteurs numériques pourra bénéficier aussi bien aux fabricants qu'aux revendeurs, permettant ainsi au marché de se développer à une vitesse raisonnable et en permettant à tous les acteurs d'être gagnants.

Le livre numérique reste un projet d'avenir qui conserve le papier comme composante principale. La question est de savoir si les éditeurs demeurent une composante essentielle du secteur. La rentrée 2009 pourrait bien nous apporter des éléments de réponse... ou pas.

lundi 10 août 2009

Livre numérique : des perspectives mitigées

Quand Bookeen, BeBook ou iRex (tous fabricants de lecteurs numériques) se disputent des parts de marché, ce sont de simples querelles de chapelles. De même, les divergences fondées sur les standards de composition, le débat des pro et des contre DRM, les préférences sur les tailles d'écran ou la capacité de stockage ne sont que des escarmouches dans la guerre du livre numérique. En revanche quand les géants de la distribution et de la production de contenus tentent d'engloutir le marché, les effets peuvent s'avérer dévastateurs... Pour les libraires, pour les imprimeurs, pour les distributeurs, pour les diffuseurs, pour les éditeurs et pour... les auteurs.

Les effets de cette campagne presque militaire ne sont pas immédiats. Ils seront perceptibles dès que les éditeurs, tels de gros taureaux reproducteurs, se mettront en mouvement pour aller faire leurs saillies sur les laitières qu'on voudra bien leur présenter dans le pré. Une fois l'affaire faite, les géants Google, Microsoft, Amazon, Barnes & Noble, Sony, mais aussi ceux qui attendent bien tranquillement et qui seront dans le sillage comme Dell, Fujistsu, Apple, RIM, HP-Compaq, Asus tech, eBay, Nokia, HTC Corp et même Wal•Mart ainsi que tous les compétiteurs de la grande distribution et de l'informatique grand public prendront le contrôle du secteur le plus important du millénaire, celui de l'information et du savoir. Les éditeurs, quelles que soient leurs tailles, n'auront plus leur mot à dire et les utilisateurs seront conquis de gré ou de force.

A la différence du secteur de la musique où l'ouverture à des standards multiples et accessibles de compression du son ont permis une authentique démocratisation de la technologie et des contenus, le secteur du livre et de la presse s'apparente à la vidéo. Des contenus riches et volumineux, gourmands en ressources et en moyens, emprisonnent les textes et leurs images dans des formats développés et restreints par les chaînes de production du livre, du magazine et du journal. Si on ajoute à cela la dématérialisation des supports et des canaux de distribution, alors, à l'instar du marché de la vidéo, les éditeurs seront tenus par des standards techniques imposés par des marchands de cartons et des circuits de distribution dominés par les poids lourds du Web.

Dès lors tout ce qui ne sera dévoré tout cru par les gros sera jeté en pâture aux marginaux, aux pirates et aux inconditionnels du gratuit. En d'autres termes, toutes les maisons d'édition qui accepteront le nouvel ordre du monde viendront déposer leurs catalogues aux pieds des vainqueurs. Les autres, ceux qui refuseront ou résisteront, sans DRM, sans accès aux codecs propriétaires, seront condamnés au téléchargement illégal, aux copies pirates ou pire, à la diffusion restreinte et anecdotique sur des sites périphériques en marge du « Core Web » avec l'obligation de pratiquer les mêmes prix que la grande distribution. Seuls les éditeurs de luxe et de prestige conserveront un volant de collectionneurs fortunés qui continueront d'acheter des ouvrages rares, chers et précieux sur des papiers spéciaux et en tirages très limités.

En adoptant, tant les éditeurs que les lecteurs, une attitude de consommateur en attente qu'on lui fasse une offre, nous manquons tous de discernement et de compréhension des forces qui sont en action actuellement. Les imprimeurs et les chaînes logistiques seront les premiers à être réduits à leur strict minimum, puis démantelés pour être, progressivement mais rapidement, remplacés par des professionnels hybrides de la « Supply Chain » comme UPS. Les diffuseurs et les libraires seront dans la charrette suivante, dès que la dématérialisation sera en mode marche forcée et non en mode expérimental comme c'est le cas pour l'instant. Et là, il sera trop tard pour faire machine arrière.

Faute de s'être convertis et d'avoir apprivoisé de nouveaux canaux de vente, de nouvelles techniques de marketing et surtout une relation clientèle dont ils n'ont aucune habitude, les diffuseurs disparaîtront purement et simplement, remplacés par des applications intelligentes B2B et des outils de relations sociales. Les libraires les plus en avance se convertiront, s'affranchiront de la boutique avec pignon sur rue et utiliseront les outils de communication pour fédérer des communautés autour de thématiques, de genres, d'auteurs. Les seules librairies qui survivront seront très spécialisées dans des ouvrages d'art, des pièces de collection comme le font les antiquaires et les brocanteurs. Enfin des boutiques de quartier vendront encore longtemps des livres en papier, à la manière des cinémas d'art et d'essai. Il n'est pas sûr que ces boutiques soient tenues par des libraires de métier. Le reste sera un vague souvenir que l'on classera avec les apothicaires, les quincailliers et les cordonniers...

Les grandes enseignes de type FNAC, Cultura ou Virgin resteront-elles sur la scène ? Certainement pas sous leurs formes actuelles. La diversité de leurs offres leur permettra de contenir la marée numérique et de continuer de jouer la carte de la pluralité de produits. Tout comme les multiplexes cinémas se sont transformées en services de restauration rapide autour de la projection d'un film, ces grandes enseignes sauront se transformer en espaces numériques de présentation des dernières innovations technologiques et en agences de recrutement de clientèle pour toutes sortes d'offres d'abonnements et de « packs » culturels.

Que restera-t-il aux éditeurs ? Le stock d'invendus, les droits littéraires et leurs carnets d'adresses d'auteurs. Mais de leur métier de lecteur ? Et de leur passion du texte ? Pour cela il faudra revenir à la source et redevenir libraire. La tâche leur sera facilitée par le déploiement des outils de communication actuels à toutes les étapes de la production d'un livre. Mais leur exposition sera moindre, réduite à la portion congrue et ce à condition que les auteur(e)s ne cèdent à la tentation des agents, ne s'unissent en syndicats indépendants, ne fassent front face aux nouveaux maîtres. Et même dans ce cas, les éditeurs oscilleront selon les caractères entre super-agents et super-libraires...

Il ne restera plus aux auteur(e)s (et à beaucoup de journalistes) qu'à se soumettre ou à s'unir. Isolés, ils seront plus que vulnérables. Regroupés, ils pourront faire corps et sens pour proposer des contenus à des libraires numériques, à des portails culturels thématiques, à des éditeurs-agents capables de les représenter auprès des géants du numérique. Syndiqués, ils se protégeront des contrats léonins et des conditions ridicules qui ont été les leurs pendant des siècles. Ils pourront s'affranchir des organismes collecteurs et des sociétés d'auteurs qui parasitent leurs recettes. Mais ils pourront aussi, individuellement, mener leur propre barque, s'ils acceptent la confidentialité, les expositions dans l'ombre et les cultures tribales qui accompagnent la démarche des francs-tireurs.

Je force volontiers le trait mais cela dans le but d'alimenter du débat et de faire réfléchir. Les géants se moquent complètement du format final du livre numérique, du succès ou de l'échec des lecteurs numériques ou encore de l'application ou non de DRM. Ce qui les préoccupent est de savoir qui va contrôler le marché des contenus. Qui dira la messe. Qui fera la pluie et le beau temps. Pour mémoire, Microsoft n'a pas commencé par construire des ordinateurs, ni des écrans, ni des téléphones. Ses logiciels n'ont jamais été les meilleurs, ni les moins chers. Et surtout, il aurait été possible de s'en passer ou de ne lui laisser qu'une faible part du secteur. Rien ne nous garantit que le même phénomène ne se reproduise de manière analogue dans le secteur du livre.

Amazon a fait la démonstration que le livre est accessible ailleurs qu'à la librairie et Sony a celle qu'un standard inférieur et plus coûteux, le Blu-Ray, pouvait s'imposer face à un standard meilleur marché et de meilleure qualité, le HD-DVD. Barnes & Noble a fait, depuis longtemps, la preuve que le concept d'espace culturel n'est pas synonyme de culture. Enfin Apple a fait date en prouvant qu'un gadget peut devenir incontournable en seulement deux ans... La ligne d'horizon du livre numérique n'est pas aussi nette que l'on pourrait le croire. Et les jalons posés par les défricheurs ne seront certainement pas les pistes que suivront les mastodontes mondiaux de l'économie numérique.

mercredi 5 août 2009

Livre numérique : la guerre des marchands, le silence des éditeurs...

Depuis quelques semaines, les fabricants de lecteurs électroniques ont déclenché une guerre commerciale à l'échelle mondiale. Partout, l'on voit fleurir de nouvelles machines à lire des livres numériques. Les pionniers lancent de nouveaux produits en multipliant les modèles et en cassant les prix. Les nouveaux venus annoncent des produits prodigieux aux prix attractifs. Les distributeurs quant à eux annoncent des révolutions imminentes dans le domaine des offres et dans l'accès aux œuvres.

C'est la guerre. Sony, géant de l'électronique et principal acteur de l'innovation en matière de technologies des médias, déploie une communication mondiale, multilingue et diversifiée afin de s'assurer la suprématie sur un marché naissant et prometteur. Le récent rapport Forrester sur les futurs clients du livre numérique laissait entendre que le géant américain Amazon était dans une position délicate et que ses compétiteurs pourraient très bien lui damer le pion en venant à sa suite et en diversifiant les offres.
C'est dans cette brèche que se sont engouffrés Sony et Barnes & Noble (après avoir décroché un partenariat avec AT&T). C'est aussi à la lumière de ces récentes analyses, entre autres, que le petit monde de l'édition s'est éveillé à la place grandissante et incontournable que prenait Google books dans le paysage du livre numérique. A la fois agrégateur et diffuseur d'informations, le géant du Web truste aussi bien le volume d'ouvrages numérisés que le contrôle de la plus grande quantité de références disponibles en ligne.
L'engagement quasi-militaire de ces poids lourds du livre et des médias a entraîné tout le monde dans une conflagration commerciale mondiale. En seulement trois semaines, les nouveaux ereaders ont envahit tous les flux d'informations repris par tous les canaux de communication traditionnels et électroniques. Et avec cette invasion estivale sont arrivées nombre d'études, d'analyses plus ou moins pertinentes et d'avis sur l'avenir du livre et les promesses de la technologie (auxquels j'ajoute le mien).

Dans ce vacarme, personne ne semble avoir remarqué le silence inquiétant des principaux intéressés par cette effervescence technologique : les éditeurs.
Il y a certainement plusieurs raisons à cela et parmi les premières, la mollesse de la période plus propice aux congés (et aux lectures) qu'au business et aux effets d'annonces. Et si en France du moins, les maisons d'éditions tournent au ralenti pour cause de vacances à rallonges, il n'en va pas de même aux Etats-unis ou simplement outre-Manche. Peu de réactions de la part des principaux intéressés pourtant premiers ayants-droits de la plupart des œuvres numérisées à ce jour.
Ce silence est inquiétant. Non parce que les éditeurs ne disent ou n'écrivent rien. Mais parce que les fabricants de lecteurs électroniques et les grosses chaînes de distribution dématérialisées ne prêtent aucune attention au silence de leurs fournisseurs. La guerre des prix fait rage sur les machines. Les offres de vente de best-sellers pleuvent (et vont continuer de pleuvoir). Et le monde de la distribution en ligne semble ignorer complètement le poids déterminant des éditeurs. Comme si ces derniers, tels des exploitants agricoles européens n'avaient pas d'autre choix que d'acquiescer aux systèmes de vente qui seront mis en place, que d'accepter tarifs qui seront décidés par les marchands et que d'espérer du pays et de la Communauté quelques subventions pour faire vivre le métier.
En France, l'apathie notoire qui se dissimule derrière l'apparent calme olympien des éditeurs n'augure rien de bon pour les autres composantes du métier (imprimeurs, libraires, distributeurs physiques, prestataires de logistique). Les seuls à pouvoir tirer leur épingle du jeu seront les auteurs. Et bien que la plupart restent myopes aux opportunités qui leurs sont offertes durant cette période de mutation, beaucoup en sortiront plus forts qu'ils ne l'ont jamais été.
La réalité est que la plupart des groupes d'édition ne savent pas comment négocier la transition. Et cette incapacité est renforcée par la faiblesse du dispositif classique de l'édition française. Essentiellement articulée sur la diffusion et la force de vente auprès des distributeurs, les dispositifs français souffrent d'une part trop maigre pour l'édition et pour la recherche et le développement. Et cette dernière a surtout été assurée par des prestataires de service de fabrication. Enfin l'édition française continue d'avoir une vision assez nationale de son activité et ne mesure pas l'impact de la mondialisation économique car son secteur, francophone, était jusqu'à récemment épargné par cette dernière.

La guerre des lecteurs et des offres va sans aucun doute se poursuivre tout au long de l'année pour atteindre un premier pic après la période de Noël. Sony, fort de sa victoire écrasante dans le domaine DVD avec la suprématie de son standard Blu-Ray, compte bien essayer d'emporter une part très importante d'un marché naissant. Ses nouveaux modèles de Sony Reader pourraient très bien devenir la référence à défaut d'autre challengers que Amazon et son Kindle. Barnes & Noble espère pour sa part opérer une transition vers une économie numérique en développement constant et continuer d'offrir à sa clientèle des espaces de consommation et d'achat de livres en éliminant progressivement les limites de stock et de logistique. Enfin Google poursuit une politique de longue haleine, à gros renforts de moyens financiers et d'une perspective planétaire, qui lui permettrait de s'imposer comme la plus grande bibliothèque dématérialisée au monde.
Des francs-tireurs tels Apple ou Plastic Logic pourront venir jouer les troubles-fêtes dans cette bataille, mais les hypothétiques Tablettes et ePaper grand format n'auront qu'un impact marginal face aux déploiements de puissance commerciale et financière de Sony, d'Amazon ou de Goggle. Il est probable que les géants devront lâcher du lest sur leur culture du standard propriétaire afin de satisfaire une clientèle qui va quadrupler en trois ans, si l'on en croit les estimations de plusieurs instituts.
Le monde de l'édition française attend certainement de voir comment cette guerre mondiale va tourner avant de se mettre en action. Et il n'est pas la seul. Mais cette posture d'attente alliée à la certitude d'être indispensable pourraient bien s'avérer fatales pour le métier d'éditeur. Les géants de l'électronique, de la distribution en ligne ou tout simplement de l'Internet n'ont pas de considération pour des postes aisément supplantés par des agents indépendants, des systèmes de syndication de contenus, des marchés extrêmement volatiles et une abondance intarissable de talents. A vouloir attendre, il sera peut-être trop tard pour prendre le train en marche.

mercredi 22 juillet 2009

InLibroVeritas, ou la fausse bonne idée

Innovation dans le domaine de l'impression à la demande de livres : InLibroVeritas. Voilà quel pourrait être le titre de ce billet. Hélas, en lisant rapidement (mais pas trop) le procédé, on tombe sur un chiffre étonnant et consternant qui ne fait qu'amplifier mon précédent billet sur l'avenir du livre et de l'édition.

Mais avant de vendre la mèche observons l'argumentaire de vente. Le métier d'éditeur est un métier responsable et efficace. Il s'agit donc d'éditer des œuvres choisies, nouvelles, intéressantes, puis de les vendre en tenant compte des révolutions technologiques du moment. Un livre, c'est du papier. Donc vendons du papier mais de manière intelligente. Pour cela, utilisons Internet pour réaliser la commande du futur client en lui proposant de choisir son format, son contenu, son nombre de pages. Il peut ajouter des éléments extérieurs (couverture, dédicace, etc.) et surtout il choisit le nombre d'exemplaires.

Jusque ici, l'idée n'a rien d'original puisque une douzaine d'autres imprimeurs déguisés font déjà la même chose pour d'apparentes opérations d'auto-édition. L'originalité provient du contenu. Vous pouvez choisir des œuvres originales d'auteurs auxquels une partie du prix du livre est reversé en droits d'auteurs. Ou bien, le livre peut contenir vos propres productions et de fait, le prix est révisé à la baisse pour vous faire bénéficier d'une remise équivalente à vos droits d'auteurs.

Alors où est le problème ? La remise ou part de droits d'auteurs est de 10% du prix public HT.

Il est étonnant de voir qu'une fois la distribution, la diffusion, la composition, la commande, la gestion des droits et des manuscrits et les charges relatives à tout ce travail d'édition sont réduits à rien ou à la plus simple expression, sur le prix public HT, l'auteur ne reçoit que 10% ! Non seulement c'est étonnant, mais c'est consternant. C'est à peine 1 ou 2 points de plus que ce qu'il ou elle recevrait dans le cadre d'une publication conventionnelle.

Quel intérêt ? Aucun. Pas même celui de pouvoir choisir d'imprimer sur du recyclé qui évidemment coûte plus cher que le standard. Suprême absurdité.

On peut dire que les maisons d'édition ne sont pas, dans la majorité des cas, généreuses avec leurs auteurs (et plus généralement avec leurs prestataires). Mais dans le cas de InLbroVeritas, la marge éditeur se fait la part du lion. Et celle de l'auteur est la part du pigeon...

mardi 21 juillet 2009

Edition numérique à la demande : le miroir aux alouettes

L'impression à la demande n'est pas un concept nouveau dans le monde de l'impression, surtout depuis les performances avérées de l'impression numérique mise au point par les plus grandes compagnies dans le domaine : Canon, Xerox, Minolta, Epson, HP... Les efforts déployés par les géants de l'impression, en dépit d'une concurrence forte avec les métiers de l'impression traditionnelle (feuille-à-feuille et rotative), ont permis à des centaines de petites unités de fabrication et de façonnage de proposer une gamme de services à des tarifs et à des qualités adéquat pour intéresser une clientèle professionnelle très importante et gagner progressivement un grand nombre de particuliers.

L'impression numérique a permis également de transformer l'univers de la photographie, en mal ou en bien, et de permettre à cette dernière de se démocratiser dans le vrai sens du terme. Et malgré le tollé des professionnels et les atermoiements des amoureux de l'argentique et du tirage traditionnel, la photographie a gagné une place artistique de choix, complètement distincte de l'industrie du tirage et de la prise de vue familiale. Dans ce domaine, les technologies d'impression numérique ont permis de proposer une gamme de service autrefois dévolus à l'édition. Que ce soit pour des tirages sur supports spéciaux destinés à la décoration d'intérieur ou bien des tirages limités de catalogues, de brochures ou d'albums, l'impression numérique s'est parfaitement substituée à certains segments de l'édition d'art en l'appliquant aux besoins et aux désirs des entreprises et des particuliers.

Cette apparente réussite commerciale a laissé penser à nombre de professionnels que la même expérience pouvait être reproduite dans le secteur de l'édition littéraire. La montée en puissance des outils immatériels de publication et surtout la domination de la blogosphère sur le web traditionnel, où ce qu'on a appelé la victoire du Web 2.0 sur le Web 1.0, ont tous renforcé l'idée que l'édition littéraire allait concéder certains segments de son activité à des acteurs plus flexibles, moins exigeants et surtout meilleur marché que les maisons d'édition traditionnelles.

Pour pénétrer la forteresse de l'édition française, les nouveaux entrants se sont appuyés sur les technologies d'impression numérique, sur les solutions de commercialisation dématérialisées et sur la manne d'auteurs qui autrement n'auraient que la petite porte de l'édition à compte d'auteur pour publier leurs manuscrits. Bien que peu prestigieux, ces services d'édition à la demande, qui se donnent souvent l'apparence d'une solution d'auto-édition, se sont multipliés et offrent désormais une panoplie d'outils aux auteurs en mal de publication. Les procédés sont multiples, acceptent avec plus ou moins d'aisance les formats courants, mettent plus ou moins bien en forme les textes (et les images), et mettent en ligne les œuvres de manière plus ou moins adroite, permettant à un vaste public la lecture partielle ou totale, le téléchargement complet ou limité, l'achat à un prix plus ou moins avantageux...

Le self-publishing, l'auto-édition numérique est en marche. Encore à ses débuts, le procédé demande encore à être raffiné, les moyens techniques à être plus accessibles, plus souples, plus tournés vers le grand public. Mais il faut concéder que l'auteur motivé peut pour un budget modique, composer, éditer, produire et recevoir une centaine d'exemplaires de son œuvre sans jamais faire appel à une maison d'édition. Il (ou elle) peut les commercialiser via une boutique électronique, les vendre sur eBay ou bien faire la tournée des librairies de son quartier ou de sa ville. Il peut même les proposer en lecture gratuite sur le Web et les faire chroniquer par des sites littéraires, des blogs spécialisés, et pourquoi pas des éditions électroniques de journaux locaux ou nationaux.

Toutefois, un élément reste manquant dans le tableau : l'éditeur. En effet, les moyens techniques sont légions, mais les éditeurs manquent à l'appel. Et leur métier avec. Est-ce une bonne chose ? Je ne crois pas. Que l'on aime ou que l'on déteste le milieu des éditeurs français (ou d'ailleurs) n'a rien à voir avec la réalité du métier de l'éditeur. Si l'auteur reste l'acteur principal de l'œuvre, l'éditeur est plus que jamais le professionnel nécessaire pour assurer à cette dernière la diffusion qu'elle mérite. Et son métier ne repose ni sur les moyens financiers, ni sur ses connaissances en marketing, ni même sur son réseau d'influence au sein des supports de communication du livre. Le métier de l'éditeur repose essentiellement sur le recul de sa lecture. Car l'éditeur est avant tout un lecteur. Et cette lecture, extérieure et dépourvue de rapports de création avec l'œuvre, est le pendant de la réussite de tel ou telle, du succès et des ventes.

Cette réalité de l'éditeur comme partenaire a déserté de nombreuses maisons d'édition avec la financiarisation des stratégies commerciales, avec la prise de pouvoir des gens d'argent sur les gens de lettres et surtout avec la main-mise de la distribution sur toutes les étapes du métier. Le résultat est plutôt mauvais. Certes, le nombre de références est inégalé dans l'histoire de l'édition, mais la qualité générale de la production est médiocre, sans intérêt pour un public qui lit de moins en moins, émaillé de succès commerciaux qui servent de danseuses pour un peloton compact et homogène. Le remplacement des éditeurs souvent atypiques et même excentriques par des spécialistes du marketing et du commerce, plus contrôleurs de gestion que lecteurs et accoucheurs de talents a achevé le travail commencé par des directions corporate trop attachées à satisfaire les actionnaires que les lecteurs au bout de la chaîne.

Faute d'éditeurs, il a été facile aux marchands de papier imprimé de faire croire au premier venu qu'il ou elle pourrait être publié sans effort. Mais l'auto-édition numérique n'est qu'un miroir aux alouettes. Sans autres ressources que soi-même, sans relecteur, sans correcteur, sans attaché de presse, sans éditeur, sans commerciale et surtout sans libraire, le livre auto-édité est amputé de toute la partie émergée de l'iceberg. Que l'on aime ou pas, que l'on veuille ou non, l'aventure de la publication d'une œuvre est un travail collectif et on écrit rarement une œuvre pour soi seul. Ceux qui l'ont fait n'ont jamais ressenti le besoin d'en faire part à des tiers, encore moins de rendre publique leur production. Les autres ont définitivement besoin d'un coup de main.

Le Web 2.0 est articulé sur la culture du Read/Write, de la lecture/écriture. Il réintroduit dans notre société un espace de communication ancien qui était autrefois réservé aux esprits éclairés et aux favoris du pouvoir. Cette démocratie intellectuelle est encore naissante et se voit menacée tous les jours par les appétits d'ogres des grands groupes transnationaux, des acteurs clés de l'informatique, des aventuriers du net ou encore des états-nations. Ce Web 2.0 permet toutefois à un nombre très important de gens de produire de la littérature, des images, des films, des documents sonores et ainsi de véhiculer de la culture, de la pensée, de la sensibilité, du sens. Car le Web n'est pas seulement la poubelle de la frustration populaire. Derrière le vacarme, il y a des voix, des discours, des perceptions et des intentions. Comme toujours à travers l'histoire, il faut tendre l'oreille et passer beaucoup de temps à regarder, à lire, à s'imprégner de ce monde pour y faire émerger des contours qui valent la peine d'être aperçus.

C'est tout cela le travail de l'éditeur d'aujourd'hui. C'est cela la mission de l'éditeur à l'âge incertain et éphémère de la communication en temps réel. Il ne s'agit pas de se jeter de la poudre aux yeux. Seuls, les auteurs n'ont que peu de chances d'émerger. Que ce soit dans le domaine de la musique, de l'image, de la littérature importe peu. De tous temps, il a toujours fallu des articulations entre l'auteur et le public. Il n'est pas besoin de multiplier ces articulations comme nous l'avons fait ces dernières décennies. Mais il est nécessaire de retrouver la fonction de l'éditeur, tant vis-à-vis des auteurs que vis-à-vis des marchands d'impressions... Cet effort est nécessaire pour la bonne santé de la pensée et de la culture. Il est collectif. Et il est fondé sur la confiance entre les individus. Malheureusement, ce bien continue d'être en pénurie.

vendredi 17 juillet 2009

Livre numérique : quand les éditeurs nous prennent pour des imbéciles

Récemment le groupe Hachette, au travers de la société Carbone 4, a rendu publique son empreinte carbone, c'est-à-dire l'ensemble des émissions de gaz à effet de serre dans le cycle de vie des livres édités par le groupe en France. Il est de 178 000 tonnes de CO2 pour 163 Millions d'exemplaires publiés, soit en moyenne un peu plus de 1 kg par ouvrage fabriqué.

La même société (Carbone 4) a mesuré l'empreinte carbone des lecteurs électroniques. A défaut de chiffres réels pour ces produits, la société s'est basée sur les chiffres de consommation et d'assemblage des ordinateurs produits par l'ADEME (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie). D'après leurs calculs, les lecteurs électroniques auraient une empreinte carbone de 240 kg au cours d'un cycle de vie porté à seulement 3 ans, soit 80 kg de CO2 par lecteur. La conclusion du département communication de Hachette Livre, par la voix de son directeur, Ronald Blunden, est la suivante : nos livres papier sont moins nocifs pour la planète que les lecteurs électroniques.

Cette piètre manœuvre du plus gros éditeur de France est consternante et pathétique. Non seulement, les soixante quatre pages du rapport de Carbone 4 demeurent confidentielles, mais Blunden ne donne à la presse (Livre Hebdo, La Tribune.fr) que quelques éléments dénués de substance et très loin d'une vision écologique du métier du livre. D'autre part, on regrettera que l'étude ait été réalisée par une société, certes spécialisée, mais de parti pris, puisqu'elle supervise le comité de veille écologique de Nicolas Hulot, lui-même édité par Ronald Blunden chez Calmann-Levy. On regrettera enfin que l'étude ait totalement exclut l'activité fascicule du groupe Hachette qui n'aurait pas manqué de faire grimper tant la note que l'empreinte carbone de ce dernier. Mais le problème réel de ce rapport est bien la partialité des propos et une certaine forme de propagande contre la dématérialisation du livre.

Si le pilonnage (gaspillage courant et destructeur) a été inclut dans les principaux champs d'investigation de Carbone 4, aux côtés de la consommation d'énergie des locaux commerciaux, les déplacements des collaborateurs, la diffusion, la production et la distribution physique, le rapport ne porte que sur l'empreinte carbone, c'est-à-dire la pollution de l'atmosphère au CO2. Et bien que l'empreinte carbone du groupe soit, comparativement, le quart de celle d'une industrie lourde, elle reste deux fois et demi celle des services de télécom qui seront sans aucun doute le modèle de base de la diffusion/distribution/production des livres numériques. D'autre part, l'étude n'inclut aucune recherche sur les pollutions autres que le CO2, comme les procédés de production industrielle du papier, des encres d'imprimerie, des rotatives et machines d'impression, des machines de reprographie et de leurs composants (qui sont de plus en plus utilisés sur les tirages limités et spéciaux)... Normal, dans le domaine de l'impression industrielle, le nombre d'agents chimiques nocifs sont pléthoriques.

Mais la mascarade ne s'arrête pas là. Les chiffres avancés par le rapport Carbone 4 sur l'empreinte carbone des livres papiers sont annuels. Ils ne tiennent pas compte des ventes, mais des ouvrages publiés. Ce qui signifie que l'année suivante, ça recommence. Non sur de nouvelles références, mais sur une majorité écrasante de rééditions et de réimpressions, dont une grande part proviennent de la destruction et reconstitution de stocks. Ce qui veut dire tout simplement que la même référence ne cesse jamais d'être réimprimée, encore et encore, produisant plusieurs fois son empreinte carbone, ad nauseam. Et c'est d'autant plus vrai des ouvrages du domaine public qui continuent d'être imprimés massivement pour être insérés dans les programmes scolaires aux côté de manuels renouvelés selon des cycles très courts (4 à 5 ans).

L'ultime argument de la supériorité du livre papier sur le livre électronique en termes de respect de l'environnement est le mythe de la destruction des forêts. Depuis une vingtaine d'années, les grands groupes d'édition et les fabricants de papier se sont accordés sur une politique de Greenwashing (lavage en vert) de leur exploitation des domaines forestiers. Plusieurs labels, dont le FSC (Forest Stewartship Council), ont fait leur apparition pour attester du respect de l'écologie dans l'exploitation forestière. Mais en dépit de chartes éthiques, de réglementations et d'un effort de vertu, les forêts tropicales ont continuer de fondre comme neige au soleil, démontrant l'inefficacité des écolabels et surtout les défaillances dans la traçabilité des matières premières. D'autre part, la plupart de ces écolabels adhèrent aux réglementations en vigueur dans les pays d'exploitation qui acceptent de manière inégale et anarchique l'introduction de produits phytosanitaires nocifs dans les cultures d'arbres. Enfin, il y a l'introduction de l'impression asiatique pour nombre de références, notamment dans le secteur jeunesse, qui ne respecte aucune des conventions environnementales admises en Europe et aux Etats-unis.

Mais tout cela, Ronald Blunden le sait et il le dit lui-même, ce chiffre de 1 kg de CO2 par bouquin « ne veut rien dire, car nous n'avons pas de base de comparaison dans notre domaine. » (Livre Hebdo, n°767). Alors pourquoi dépenser quelques dizaine de milliers d'euros ? Pourquoi faire une communication d'influence discrète mais appuyée à l'encontre du livre électronique ? Pourquoi la faire suivre auprès de partenaires comme Bolloré Thin Paper ? Et surtout pourquoi nourrir une contre publicité vis-à-vis des lecteurs électroniques pour lesquels il n'y a ni chiffres, ni résultats, ni même de marché réel à l'heure actuelle en France ?

Je ne vais pas entrer ici dans les avantages des livres électroniques, de quelque marque qu'ils soient. J'aime les livres et le papier, mais je ne suis pas nostalgique. Il y a bien trop d'avantages à l'informatique dans tous les domaines de l'édition pour revenir en arrière. Il en va de même pour le lecteur électronique de livres. L'œuvre dématérialisée n'en est pas moins l'œuvre et le livre en papier n'a été, pendant un laps de temps assez long, que le système de conservation le plus pratique. Personne ne dit que les supports magnétiques soient meilleurs tant dans la longévité que dans l'accessibilité. Mais il faut se rendre à l'évidence, l'œuvre comme la production littéraires sont voués à devenir des objets immatériels dans le cybermonde. Alors que dire de cette résistance de la profession tant en France qu'en Europe ou aux Etats-unis ?

Il est difficile de savoir qui des fabricants de matières premières, des intermédiaires de transformation, des sociétés de diffusion et de distribution ou encore des éditeurs sont les plus réticents à la dématérialisation du livre. Il n'est pas difficile de voir que cette dernière va essentiellement profiter aux premiers intéressés et producteurs de savoir et de littérature : les auteurs. Et il n'est pas difficile de voir que tout un métier se sent menacé par la monté en puissance et l'émancipation des pourvoyeurs du produit dont ils font commerce. Mais tous les moyens sont-ils bons pour conserver l'ascendant, le pouvoir ?

L'édition française pèse près de 3 Mds d'euros de chiffre d'affaire annuel. Ce n'est pas un secteur de niche. Et son produit est injustement dévalorisé par une méconnaissance du contenu : le savoir. Il est regrettable d'en arriver à un tel poncif, mais la forme numérique des œuvres littéraires et plus généralement du savoir est une révolution au moins aussi radicale que l'a été l'imprimerie, il y a plus de cinq siècles. Tous les acteurs de l'édition le savent. Il est donc indécent, voire vulgaire, de prendre les acheteurs pour des imbéciles. Il est clair qu'à l'instar de la révolution de l'imprimerie, cette transformation de notre monde prendra quelques générations pour être complètement intégrée, digérée et que le livre devienne un objet d'art au même titre qu'une peinture, une stèle gravée, un parchemin ou un blason de chevalerie. Et contrairement à la tradition capitaliste, il ne sera pas nécessaire de sacrifier tel ou tel corps de métier sur l'autel de la modernité pour effectuer la transition vers un nouveau monde.

vendredi 10 juillet 2009

Le livre numérique, un projet d'avenir

En France, éditeurs, diffuseurs et libraires sont aux prises avec le casse-tête du livre numérique. Chacun, évidemment voit midi à sa porte.
— Les éditeurs essayent de protéger leurs droits de propriété dans un univers immatériel et volatile sans contrôle réel sur les échanges hors commerce.
— Les diffuseurs cherchent à verrouiller les systèmes de distribution pour éviter une concurrence anarchique et incontrôlable.
— Les libraires (chaînes de magasins comprises) cherchent tout simplement à survivre à la dématérialisation de leur place dans le circuit de distribution.

Côté chiffres, l'état des lieux n'est pas mauvais, ni même catastrophique comme il peut l'être pour le secteur de la musique sur CD, de la vidéo sur DVD ou encore de la presse dont l'agonie n'en finit pas...
Les chiffres ne sont pas mauvais, mais ils ne sont pas bons non plus.
— Les ventes augmentent en nombre de références disponibles sur le marché, mais baissent en volume par titre.
— Seulement la moitié de la population en capacité de lire a acheté au moins un livre en 2007, et seulement 10% de cette même population en a acheté plus de dix.
— Les ventes se font pour un quart chez le libraire, pour un autre quart chez les grandes surfaces spécialisées (FNAC, Cultura, Virgin, etc.), pour un autre quart dans les supermarchés, et pour un dernier cinquième auprès de la VPC (France Loisirs). La vente en ligne atteint péniblement les 8% en 2007 et frise les 9% en 2008.

La rentabilité est de son côté édifiante sur les réalités du marché et sur les pratiques du métier.
— Le chiffre d'affaire de la profession en 2007 était de près de 3 Md€, en progression de presque 4%.
— 70% du chiffre d'affaire de la profession était réalisé avec moins de 2% des titres disponibles sur le marché.
— Le montant des droits d'auteurs versés par les éditeurs ne représentait que 15% du CA total.

Que dire de ces chiffres, publiés pour l'essentiel par le CNL ?
Un regard critique donne un diagnostic pessimiste :
— Le marché du livre stagne. Il accumule le stock en termes de propriété intellectuelle, mais les ventes ne suivent pas.
— Le nombre de références augmente, gonfle les stocks disponibles, même si ceux-ci diminuent en volume par titre et que le recours à la destruction continue d'être une solution pour maintenir des flux de production constants et contrôlables.
— La librairie, malgré son discours optimiste, subit une lente érosion que subissent aussi les autres lieux de vente.
— Les auteurs sont mieux rémunérés qu'il y a un siècle, mais ils sont toujours la moindre part d'un marché pour lequel ils produisent 99% du contenu.
— La vente en ligne vient grignoter lentement (mais sans recul) les parts de marché de tous les acteurs en place, effet accentué par un récession économique mondiale. Les chiffres de 2009 devrait démontrer une augmentation constante et raisonnable des ventes en ligne pour un net recul des ventes physiques sur les lieux de vente classiques.

Alors quelles perspectives pour le livre et le marché du livre ?
Devant, il y a la dématérialisation du livre et de son circuit de distribution. Qu'on le veuille ou non, que l'on y croit ou non, le phénomène s'installe, prend de l'ampleur à mesure de que des francs-tireurs puissants sabotent les circuits classiques quitte à mener des politiques à la limite de la légalité en matière de droits d'auteurs.
Et ce n'est pas seulement le problème de Google qui met des centaines de milliers d'ouvrages en ligne via Mountain View.
C'est aussi les problèmes posés par un géant comme Amazon qui joue le jeu de la grande distribution, court-circuite les chaînes classiques de diffusion et de distribution et finit par étrangler les libraires quand ils ne les soumet pas à sa propre stratégie en devenant fournisseur.
C'est aussi le problème pour la francophonie de la suprématie absolue de la langue anglaise dans la production littéraire et dans les traductions.
C'est le problème de l'arrivée de géants démographiques comme la Chine et l'Inde qui ne se sont pas encore accordés avec les européens et les américains sur les droits d'auteurs... tout en constituant un marché énorme !
Enfin, il y a l'irruption d'un appareil intermédiaire entre l'ordinateur et le téléphone portable, le lecteur électronique, ou comme le nomment les québécois, la liseuse numérique. Sa forme finale reste incertaine, aussi bien que ces fonctions. Mais il est probable que dans cinq ans (comme ce fut le cas pour la téléphonie cellulaire) les appareils soient beaucoup plus performants et surtout qu'ils fassent naturellement partie du paysage culturel tant au foyer, qu'à l'école, à l'université ou dans l'entreprise.

Un coup d'œil prospectif sur les dix prochaines années nous dit que :
— Le format électronique va s'imposer sur le marché et la part de ventes en ligne va rejoindre les autres lieux de vente et en éliminer certains.
— Bien que les libraires soient les plus vulnérables sur le marché, ce sont les grandes surfaces qui vont souffrir le plus de l'émergence d'un modèle dématérialisé de distribution du livre. Le conseil en librairie reste une des meilleures influences d'achat, en parallèle avec la couverture presse qui tend de plus en plus à se dématérialiser.
— Le lecteur électronique va s'imposer non comme un appareil intermédiaire, mais comme un concept : celui de livre numérique, pour finalement être entièrement assimilé au livre.
— Les réseaux de distributions physique et les dispositifs de diffusion devront s'adapter à une nouvelle donne qui va fortement transformer les métiers, les entreprises et les méthodes.
— Les éditeurs devront faire face à la montée en puissance des auteurs qui se servent déjà des médias sociaux sur Internet pour faire connaître leurs écrits et faire la promotion de leurs sorties papier. Certains savent même organiser des sorties numériques à tirages ou à durées limités (et obtiennent des performances étonnantes).
— La profession devra accepter l'amplification de la concurrence amenée par de nouveaux entrants, par des transfuges de grandes maisons d'édition, par des auteurs réclamant leur totale indépendance et par des chaînes de distribution spécialisées sur le Web.
— Enfin, la profession devra faire face à la généralisation de la gratuité sur Internet.

De quoi disposent les acteurs du marché du livre aujourd'hui pour combattre sur le terrain de l'immatériel numérique en France ?
— Hachette possède Numilog et table sur les produits numériques Sony.
— La Martinière/Gallimard/Flammarion optent pour une plate-forme indépendante sans réelle politique claire vis-à-vis de son réseau.
— Electre joue les outsiders pivots alors que son métier reste la base de données et ses clients des libraires.
— Quelques indépendants tentent de vagues opérations périphériques mais sans réel impact, sans véritable volonté d'exposition et surtout dotées de moyens dérisoires.
— Et les autres regardent le spectacle...

A croire que tout le monde attend patiemment que le géant de la distribution web, Amazon, veuille bien trouver un « arrangement » avec un opérateur téléphonique et sorte son Kindle sur le territoire français.
Il est à craindre que le résultat ne soit désastreux pour le marché du livre en France. Il n'est pas besoin d'être devin pour imaginer immédiatement les répercussions sur les éditeurs indépendants et régionaux. Ce n'est pas tant que la société Amazon les excluent du marché. Mais il faut rappeler qu'un dispositif législatif complexe et plutôt bien ficelé protège le millier de petits éditeurs français qui se veulent indépendants. Et que les grands groupes média ne peuvent pas les faire disparaître dans une bouillie publicitaire et marketing comme le font d'autres groupes massifs dans bien des secteurs de l'industrie et de la distribution. Une fois Amazon aux commandes de la distribution en ligne, ces dispositifs et ces lois ne seront plus un obstacle, et il faudra des moyens inaccessibles à toutes ces petites maisons pour se distinguer dans la jungle « Amazonienne ».

Conclusion sommaire et consternante, les éditeurs français, petits et grands, n'ont strictement rien dans leurs corbeilles de mariées pour faire face à la transformation radicale qui est en train de s'opérer sous nos yeux.

On peut répondre à cette thèse par le silence, le mépris et/ou la plaisanterie. Mais l'histoire prouve que « rira bien qui rira le dernier ». Il n'y a donc que deux manières d'aborder ces transformations. Soit on tente de résister, soit on essaye de comprendre et de suivre la transformation en s'adaptant de manière pertinente aux nouvelles conditions.

Dans le premier cas, le rapport de force est à l'avantage du plus puissant. L'édition française devra combattre non seulement les transformation de son marché intérieur, mais aussi celles du marché européen et finalement celles du marché mondial. Bonne chance.

Dans le second cas, il est grand temps de regarder au delà des vieilles méthodes de grand-papa et de commencer à penser le marché dans les termes horizontaux tant dans la relation B2B que dans la relation B2C :
— Les librairies disparaîtront peut-être, mais pas les libraires. Ils ne seront plus les otages des réseaux de distribution et de diffusion.
— Les livres existeront toujours mais leur impression sur papier sera limitée. On continuera de faire imprimer à la commande pour des raisons pratiques et esthétiques.
— La distribution sera toujours cruciale mais elle n'aura plus la même empreinte carbone et n'emploiera plus le même nombre de personnes.
— Le stock ne sera plus un actif mais seulement un coût.
— La propriété intellectuelle verra sa valeur s'accroître mais ses revenus partagés plus équitablement.
— La promotion et les ventes reposeront sur l'expérience et non sur la promesse.
— Le succès se mesurera à l'aune de la réputation et non à celle du nombre de ventes.
— Le prix du livre ne sera ni unique, ni fixe.

C'est à ce genre d'idées que doivent maintenant réfléchir les éditeurs et les acteurs du marché du livre. Poursuivre dans d'interminables et minables débats sur les DRM, sur le piratage informatique ou encore sur les droits d'auteurs relatifs à la numérisation des livres est une pure perte de temps et un gaspillage. Nous n'avons pas de temps à perdre et nous ne pouvons nous offrir le luxe de laisser s'installer les ogres immatériels que sont Google, Microsoft ou Amazon.

Tous les acteurs du marché sont concernés. Ceux qui produisent comme ceux qui vendent, ceux qui écrivent et ceux qui lisent. Et personne ne doit faire les frais des révolutions économique et technologique en cours. Seuls ceux et celles qui refusent le débat, qui rejettent le dialogue et les échanges contradictoires seront les victimes directes ou collatérales des transformations actuelles. Il ne s'agit pas de savoir si nous lirons sur telle machine ou à la lumière de la lampe de chevet de grand-mère. Il s'agit de faire en sorte d'avoir encore une authentique pluralité de contenu et un choix véritable dans ce que nous voudrons lire demain.

lundi 6 juillet 2009

2025 : vers le tout nucléaire... extra-terrestre

Nos parents se souviennent encore du spectre de la crise énergétique au début de notre siècle. Les émissions de carbone dans l'atmosphère menaçait durement l'équilibre écologique et climatique de notre planète et la population mondiale prenait conscience de l'éventualité d'une catastrophe à l'échelle terrestre. Après avoir exploré de manière anarchique les pistes du solaire, de l'éolien, des forces maritimes et géothermiques et même envisager de transformer l'industrie pétrolière en industrie hydrogène, les principales agences de l'énergie en Europe et aux Etats-unis se sont accordées sur un programme nucléaire d'envergure sans précédent.
Le principal obstacle, rappelez-vous, était les dangers de la radioactivité du combustible associé à son extrême rareté et les difficultés de son exploitation. La solution est venue du programme spatial russo-chinois de 2012. Contre toute attente et dans le plus grand secret, les deux grandes puissances industrielles se sont implantées sur le satellite lunaire pour y installer des bases permanentes et des exploitations minières spatiales.
Disposant d'une technologie fiable et éprouvée, les russes n'ont pas eu de mal à déployer en seulement 24 mois, une infrastructure digne d'un film de science-fiction, puis à céder la place aux ingénieurs et techniciens chinois, spécialistes dans les sites d'exploitation compliqués. Le résultat n'a pas tardé à porter ses fruits. La qualité des minerais et du raffinage extra-terrestre a eu des retombées économiques et industrielles immédiates tant du point de vue énergétique, mais aussi sous la forme d'une formidable avancée dans les domaines de l'emploi, du transport et des technologies spatiales.
Empêtrés dans des contrats de lancements et de déploiement de satellites de communication et d'un marché spatial entièrement tourné vers la communication et l'observation terrestre, les européens et les américains ont tout juste eu le temps de se positionner comme des acteurs centraux du marché des centrales et des systèmes d'exploitation de l'énergie. La France n'a rattrapé son retard que très récemment, dix après l'inauguration de la première exploitation russo-chinoise.
Dans cette nouvelle ruée vers l'or lunaire, l'Inde et le Japon ont su aussi bien développer des équipements d'exploration, que de construire des composants et des véhicules de transport bien plus adaptés. Les deux pays ont également suivi leur concurrents, puis partenaires, dans la répartition du territoire lunaire. Cette dernière a évidemment fait l'objet d'une longue négociation au sein des Nations unies subissant des pressions diverses de la part des Européens et des Américains, largement dépassés et prisonniers de leurs modèles énergétiques.
En seulement quinze ans, les Cinq puissances lunaires (Russie, Chine, Japon, Inde, Brésil) ont permis le déploiement de dizaines de centrales nucléaires sur le sol terrestre dans des conditions de construction et de mise en œuvre limitant largement les risques encourus sur la surface. Dans le même temps, ces pays sont devenus les principaux bailleurs de CO2, ayant réduit leurs émissions à une part marginale de leur production énergétique. Les conséquences indirecte de cette conquête lunaire ont été entre autres l'effondrement soudain des cours des produits céréaliers et de la valeur des terres, la baisse substantielles du prix du pétrole et le très faible coût de l'uranium.
L'industrie nucléaire lunaire n'est cependant pas sans risques et les centaines de milliers d'ouvriers spécialisés le savent bien. D'autant que la Chine comme l'Inde se sont spécialisées dans le retraitement et la destruction des combustibles toxiques et radio-actifs. Les accidents sont courants, et les victimes se comptent alors par milliers. Mais le jeu en vaut certainement la chandelle : les flux migratoires ne cessent de s'orienter vers les grands centres spatiaux. Les salaires sont élevés, les conditions de retour très prometteuses et les profits générés par les géants industriels présents sont sans commune mesure.

jeudi 4 juin 2009

Des combinaisons-boucliers anti-pollutions radios

C'est au Printemps 2022 que la CIERE (Commission Interministérielle d'Etude des Radio-Emissions) a délivré son rapport et préconisé le développement de dispositifs vestimentaires de protection contre l'excès d'émissions des technologies de communication sans fil. En effet, depuis l'introduction des étiquetages RFID dans la grande distribution permettant un meilleur tracking des marchandises, plusieurs organes de santé publique ont enregistré une augmentation notable de certaines anomalies vasculaires cérébrales chez les nourrissons et les personnes âgées. D'autres laboratoires de recherches ont pu établir une stricte corrélation entre le développement de certains type de cancers et la saturation d'émissions liées aux technologies sans fil.
Entre les télécommandes diverses, les réseaux téléphoniques, les réseaux WiMax, les transmissions satellitaires et l'invasion des étiquettes intelligentes, le citoyen occidental a de quoi s'inquiéter pour sa santé et surtout celle de ses enfants. Toutes ses études font apparaître que ce sont les éléments les plus fragiles qui répondent le plus mal à la pollution provoquée par les radiofréquences. Des centaines d'associations de victimes et de consommateurs se sont pourvus auprès des principales institutions européennes pour dénoncer cette pollution nocive et pour faire voter des lois restrictives instaurant un plus grand contrôle des équipements et des technologies.
Malheureusement, les institutions sont impuissantes à transformer des technologies clés sur lesquelles sont articulés les systèmes de défense, les arsenaux militaires, le secteur de la finance et une bonne partie de l'industrie de pointe. Comme au temps de l'explosion industrielle, où le charbon était un mal nécessaire qui a tué des millions de gens et eu des effets nocifs durables sur l'atmosphère, les technologies sans fil sont une étape obligatoire du progrès occidental.
Réunis autour du sommet sur le Développement durable à Prague, les gouvernements européens se sont donnés pour objectif d'accorder des budgets supplémentaires à la recherche de dispositifs individuels de protection contre ce type de pollution. Ce sont les secteurs de la confection et des matériaux composites qui bénéficieront le plus de ces aides européennes. Les acteurs auront pour mission de mettre au point et de commercialiser des articles vestimentaires capable de protéger les gens des émissions nocives. Plusieurs stylistes ont immédiatement lancés des projets de collections de combinaisons vintage rappelant des séries télévisées comme Star trek ou bien des films comme le célèbre (et visionnaire) THX 1138 de George Lucas. Des combinaisons bouclier pour se prémunir contre les émissions radio, des lunettes polarisantes pour se protéger des rayonnements solaires excessifs, des oreillettes subsoniques pour la connexion au réseau global et se défendre contre les agressions sonores urbaines, le citoyen du 21e siècle va dépasser les fantasmes les plus fous des écrivains de science-fiction du siècle précédent.

vendredi 29 mai 2009

Numérique, le mot valise à la mode

Numérique : qui concerne des nombres, qui se présente sous la forme de nombres ou de chiffres, ou qui concerne des opérations sur des nombres. Voilà une définition stricte qui a le mérite d'être claire. Pourtant, il ne cesse de fleurir toutes sortes de concepts auxquels on appose volontiers l'adjectif numérique et qui n'ont strictement rien à voir avec les nombres, les chiffres ou bien les opérations sur les nombres.

Il est vrai que numérique est le mot valise français permettant de ranger dans la catégorie TIC tout ce qui est augmenté par ces dernières. On parlera ainsi de livre numérique, de ville numérique, de journal numérique, de cinéma numérique, de photo numérique, etc. Comme si le changement de support changeait radicalement le contenu...
Le film, le roman, l'image ou la rue ont-ils été transformés par les supports, par les accessoires ou encore par les équipements qui leur sont ajoutés ? Les puristes diront que le « numérique » a modifié les habitudes, les comportements, les pratiques. Les conservateurs y ajouteront que la qualité n'est pas au rendez-vous, que le fond se fond dans la forme et que finalement la dématérialisation finit d'achever l'œuvre au sens funeste du terme.
Mais prenons le temps de l'examen. La soi-disante révolution numérique n'a rien de spectaculaire et n'a pas grand chose d'une révolution. L'émergence du papier contre les tablettes en argile, le parchemin (en peau de bête), les papyrus, les réglettes de bambous, a eu un impact beaucoup plus radical que la transition vers des écrans de lecture. Et pour aller plus loin, l'invention de la perspective dans la peinture est de loin beaucoup plus révolutionnaire dans l'histoire des images que le passage entre la photographie argentique et la captation digitale. Ces deux révolutions, à elles seules, ont non seulement métamorphosé leur environnement immédiat, mais ont changé les représentations humaines et sociales.
Alors où est la révolution numérique ? Où sont les nouvelles représentations du monde ? Où est la société nouvelle qui découle d'un changement si grand que l'on ne peut plus vivre à l'aune de la mentalité ancienne ?

Nulle part.

Le « numérique » n'est rien d'autre qu'un artifice visant à distinguer des générations et à tenter de créer une frontière illusoire entre un monde ancien et un monde nouveau. Or cette frontière invisible, intangible et immatérielle, n'existe pas. Il n'y a pas plus de différence entre un livre en papier et un livre numérique qu'entre un livre de poche et un album de bande-dessinée. De même, il n'y a pas plus de différence entre un film 35 mm et un film numérique qu'il n'y a de différence entre le cinéma de Steven Spielberg et celui des Frères Dardenne... Les faiseurs d'œuvres ne changent pas grands chose à la manière de faire leurs œuvres et les techniciens ne font que mettre en œuvre de nouveaux outils plus perfectionnés mais entièrement articulés sur des concepts connus et éprouvés.
Alors pourquoi chercher à faire une différence entre le numérique et le reste ?
Parce qu'il y a une réelle volonté de toute une génération à vouloir se singulariser, à vouloir créer une spécificité. Mais cette volonté ne s'appuie pas sur un discours, ou bien sur une esthétique. Elle n'a pour socle que l'apparence d'une supériorité scientifique sur la nature assez intuitive et empirique des prédécesseurs.
Ainsi la ville numérique serait supérieure à la ville tout court. La voiture numérique serait plus efficace que la voiture « normale ». Le numérique s'imposerait partout comme une marche supplémentaire dans le développement des sociétés avancées, scientifiques, modernes et post-modernes. On pourrait même se demander si le « numérique » ne serait pas la conséquence logique du post-modernisme. La fin de l'homme, de son histoire, l'aplatissement de la planète, l'anéantissement des distance, l'écrasement du temps au seul présent, tout cela contribuerait à façonner un monde numérique, fait seulement de chiffres et de lettres désarticulées.
Mais voilà, il y a une frontière bien réelle et très concrète qui se charge à chaque instant de réduire la mode numérique à peau de chagrin : et c'est le corps. Et oui, il faut encore manger de la nourriture classique, dont on s'évertue à mesurer en chiffres les composants, mais que l'on est bien incapable de préparer correctement la plupart du temps et encore moins d'aller la produire. Il faut aussi boire, dormir, marcher, courir pour attraper le bus ou le métro ou le train, conduire la voiture (qui tombe encore plus souvent en panne depuis qu'elle embarque une grande quantité d'électronique)... Le corps nous impose le réel. Et la seule intelligence, si fascinée par le numérique, est encore complètement dépendante du corps.
C'est lui la dernière frontière à franchir : le corps. C'est le théâtre des révolutions de demain. Alors à quand le corps numérique ? Ou devrons-nous laisser tomber la mode du numérique pour entrer davantage dans le monde (et non la mode) des nanotechnologies...?