dimanche 29 novembre 2009

Tendances prospectives pour le livre

Le modèle économique de l'édition repose sur la maîtrise du prix de vente et sur la distribution physique du livre. Par sa loi sur le prix unique du livre l'institution protège les intérêts des groupes de presse et d'édition. Par leur situation de monopole, une poignée d'opérateurs contrôlent parfaitement la distribution physique.
Trois innovations technologiques mettent en péril ce modèle :
— la transformation du circuit de distribution physique des livres,
— la dématérialisation de la lecture,
— le développement de moyens d'impression à la demande.


La première innovation déplace le circuit de distribution depuis les chaînes traditionnelles de la diffusion et de la livraison par services de messagerie spécialisés vers des acteurs généralistes de la supply chain. Ceux-ci vont du simple service postal aux géants de la logistique : fedex, ups, et autres. Ce déplacement est essentiellement dû à l'élimination pure et simple des intermédiaires dans la sélection et l'acte d'achat des produits. Le pionnier en la matière est Amazon (bien qu'historiquement il ne soit pas le premier). Ce déplacement massif rend obsolète le recours à des services spécialisés, réduit la nécessité de stocks, anéanti les marges intermédiaires et les jeux de trésorerie.

La deuxième innovation introduit de nouvelles habitudes de lecture et surtout de nouveaux usages qui ne correspondent plus ni aux offres (presse et édition confondues), ni aux formats des textes, ni aux supports (journal, magazine, livre grand format, encyclopédie reliée, etc.). Ce décalage entre les usages et l'état de l'art est à la source des expériences technologiques des fabricants d'appareils électroniques. Il permet l'introduction du concept de support électronique dédié à la lecture sans pour autant constituer une nouveauté, ni convaincre un public de masse. Les fabricants misent sur l'effet téléphonie mobile qui connut un démarrage difficile avant de connaître une véritable explosion. Ces appareils constituent non seulement l'ouverture potentielle d'un nouveau segment de marché mais il permet également de tester en réel des innovations en termes de composants divers appliqués à l'écran, aux surfaces tactiles, aux interfaces grand public et aux ordinateurs personnels.
Cette innovation de la lecture pose des problèmes aigus aux groupes d'édition qui ont mise sur des stratégie à moyen terme de choix éditoriaux et de formats de textes qui doivent être reconsidérés dans des délais très courts (moins de dix ans si l'on en croit l'étude réalisée à l'occasion de la foire de Francfort). Elle est amplifiée par l'émergence de la blogosphère et plus concrètement des possibilités de mutualisation de l'information et de la connaissance introduits par le Web 2.0. Enfin, une concurrence quelque peu déloyale est exercée par les mastodontes de l'Internet et des systèmes d'exploitation qui contournent les législations comme les contraintes métiers en mettant à disposition un ensemble de textes suffisant pour créer des effets d'entraînement.

La troisième innovation est plus discrète mais promet d'être la plus difficile à juguler en termes de périmètres commerciaux. Il s'agit de l'introduction à des niveaux très différents de l'impression à la demande. il ne s'agit pas là de la seule technique d'impression d'un ouvrage d'après une commande ferme et à des tarifs relativement identiques à ceux de l'impression de masse. Il s'agit aussi de la possibilité d'impression en librairie, en centre de reprographie et à échéance d'imprimer un livre complet chez soi, avec reliure et façonnage similaire aux modèles standardisés du marché du livre. C'est ce que l'on réalise parfaitement pour le DVD, le CD audio ou encore la photographie. Il n'y a aucune raison de voir le livre résister à cette révolution technologique.

A la lumière de ces trois innovations, les industries et les métiers du livres subissent des transformations profondes et durables en ce moment même sans pour autant être capables d'anticiper les tendances pour l'avenir. La raison de cette cécité est double :
— le livre est le résultat d'un ensemble d'usages,
— les usages se fondent sur la multiplicité des offres.

Le livre est effectivement le résultat d'un raffinement des usages développés par les institutions, les sociétés et les corps administratifs au fil de l'histoire. Ces usages sont nés des multiples demandes sociales que ce soit pour des besoins comptables, des nécessités d'archivage, des utilisations commerciales, des échanges d'informations ou de valeurs (le savoir étant une valeur comme les autres). C'est exactement à ce stade précis que nous sommes aujourd'hui.
Mais ces usages n'ont pas conditionné le livre. Ce dernier est né de la rencontre des demandes, ou plutôt des désirs, et de l'autre côté d'une multitude d'offres variées, disparates, incontrôlées, divergentes. Celles qui ont eu la faveur des désirs du public ont survécu, les autres se sont éteintes et ont disparu de la mémoire collective des sociétés et des industries. Il faut se rappeler que les parchemins, ou les ouvrages manuscrits de monastères ou même les papyrus n'ont subsisté à travers les siècles que par le fait qu'ils ont occupé pendant des durées assez longues leurs rôles de supports. Les autres, les concurrents ne sont que rarement mentionnés dans de vagues textes techniques.
Ce principe de multiplicité des offres est à l'œuvre dans cette économie particulière qu'est l'économie numérique. Quand on regarde à titre d'exemple les multiples projets concurrents dans le domaine des navigateurs ou des logiciels de composition de textes ou encore dans le domaine des agrégateurs de news, on se rend compte combien cette concurrence réelle et efficace permet aux utilisateurs de cerner l'offre qui leur convient le mieux et de faire correspondre l'usage et l'application, les deux se contraignant mutuellement.
Il manque donc dans le domaine du livre d'une floraison désordonnée et abondante d'offres en matière de livres numériques, de projets transversaux, de techniques et de service d'impression à la demande, de lectures hypertextuelles, etc. Faute de profusion et d'efforts conjugués mais concurrents dans ce sens, il est à craindre que le monde intellectuel du livre connaisse un âge des ténèbres comparable à l'obscurantisme du Moyen-Âge. Mais cette fois la religion dominante sera remplacée par une autre forme de dogme : celui de la neutralité de la technologie.

P.S. : dans ce court papier, je n'évoque aucunement la transformation du texte lui-même, car j'ai la conviction que le texte ne change pas ni dans son mode de production, ni dans son mode de transmission. Les sources d'approvisionnement (la culture) sont plus nombreuses. Les apports sont plus prégnants. Les influences forment des pressions plus importantes sur la création littéraire, de par l'impossibilité de s'en soustraire aisément (à moins de vivre dans une grotte du Sahara ou des plateaux Himalayens. Mais au bout du compte, bien que le numérique offre de nombreuses nouvelles approches du texte, il ne le change pas fondamentalement, du moins pas dans un avenir proche de quelques siècles.

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