mercredi 5 août 2009

Livre numérique : la guerre des marchands, le silence des éditeurs...

Depuis quelques semaines, les fabricants de lecteurs électroniques ont déclenché une guerre commerciale à l'échelle mondiale. Partout, l'on voit fleurir de nouvelles machines à lire des livres numériques. Les pionniers lancent de nouveaux produits en multipliant les modèles et en cassant les prix. Les nouveaux venus annoncent des produits prodigieux aux prix attractifs. Les distributeurs quant à eux annoncent des révolutions imminentes dans le domaine des offres et dans l'accès aux œuvres.

C'est la guerre. Sony, géant de l'électronique et principal acteur de l'innovation en matière de technologies des médias, déploie une communication mondiale, multilingue et diversifiée afin de s'assurer la suprématie sur un marché naissant et prometteur. Le récent rapport Forrester sur les futurs clients du livre numérique laissait entendre que le géant américain Amazon était dans une position délicate et que ses compétiteurs pourraient très bien lui damer le pion en venant à sa suite et en diversifiant les offres.
C'est dans cette brèche que se sont engouffrés Sony et Barnes & Noble (après avoir décroché un partenariat avec AT&T). C'est aussi à la lumière de ces récentes analyses, entre autres, que le petit monde de l'édition s'est éveillé à la place grandissante et incontournable que prenait Google books dans le paysage du livre numérique. A la fois agrégateur et diffuseur d'informations, le géant du Web truste aussi bien le volume d'ouvrages numérisés que le contrôle de la plus grande quantité de références disponibles en ligne.
L'engagement quasi-militaire de ces poids lourds du livre et des médias a entraîné tout le monde dans une conflagration commerciale mondiale. En seulement trois semaines, les nouveaux ereaders ont envahit tous les flux d'informations repris par tous les canaux de communication traditionnels et électroniques. Et avec cette invasion estivale sont arrivées nombre d'études, d'analyses plus ou moins pertinentes et d'avis sur l'avenir du livre et les promesses de la technologie (auxquels j'ajoute le mien).

Dans ce vacarme, personne ne semble avoir remarqué le silence inquiétant des principaux intéressés par cette effervescence technologique : les éditeurs.
Il y a certainement plusieurs raisons à cela et parmi les premières, la mollesse de la période plus propice aux congés (et aux lectures) qu'au business et aux effets d'annonces. Et si en France du moins, les maisons d'éditions tournent au ralenti pour cause de vacances à rallonges, il n'en va pas de même aux Etats-unis ou simplement outre-Manche. Peu de réactions de la part des principaux intéressés pourtant premiers ayants-droits de la plupart des œuvres numérisées à ce jour.
Ce silence est inquiétant. Non parce que les éditeurs ne disent ou n'écrivent rien. Mais parce que les fabricants de lecteurs électroniques et les grosses chaînes de distribution dématérialisées ne prêtent aucune attention au silence de leurs fournisseurs. La guerre des prix fait rage sur les machines. Les offres de vente de best-sellers pleuvent (et vont continuer de pleuvoir). Et le monde de la distribution en ligne semble ignorer complètement le poids déterminant des éditeurs. Comme si ces derniers, tels des exploitants agricoles européens n'avaient pas d'autre choix que d'acquiescer aux systèmes de vente qui seront mis en place, que d'accepter tarifs qui seront décidés par les marchands et que d'espérer du pays et de la Communauté quelques subventions pour faire vivre le métier.
En France, l'apathie notoire qui se dissimule derrière l'apparent calme olympien des éditeurs n'augure rien de bon pour les autres composantes du métier (imprimeurs, libraires, distributeurs physiques, prestataires de logistique). Les seuls à pouvoir tirer leur épingle du jeu seront les auteurs. Et bien que la plupart restent myopes aux opportunités qui leurs sont offertes durant cette période de mutation, beaucoup en sortiront plus forts qu'ils ne l'ont jamais été.
La réalité est que la plupart des groupes d'édition ne savent pas comment négocier la transition. Et cette incapacité est renforcée par la faiblesse du dispositif classique de l'édition française. Essentiellement articulée sur la diffusion et la force de vente auprès des distributeurs, les dispositifs français souffrent d'une part trop maigre pour l'édition et pour la recherche et le développement. Et cette dernière a surtout été assurée par des prestataires de service de fabrication. Enfin l'édition française continue d'avoir une vision assez nationale de son activité et ne mesure pas l'impact de la mondialisation économique car son secteur, francophone, était jusqu'à récemment épargné par cette dernière.

La guerre des lecteurs et des offres va sans aucun doute se poursuivre tout au long de l'année pour atteindre un premier pic après la période de Noël. Sony, fort de sa victoire écrasante dans le domaine DVD avec la suprématie de son standard Blu-Ray, compte bien essayer d'emporter une part très importante d'un marché naissant. Ses nouveaux modèles de Sony Reader pourraient très bien devenir la référence à défaut d'autre challengers que Amazon et son Kindle. Barnes & Noble espère pour sa part opérer une transition vers une économie numérique en développement constant et continuer d'offrir à sa clientèle des espaces de consommation et d'achat de livres en éliminant progressivement les limites de stock et de logistique. Enfin Google poursuit une politique de longue haleine, à gros renforts de moyens financiers et d'une perspective planétaire, qui lui permettrait de s'imposer comme la plus grande bibliothèque dématérialisée au monde.
Des francs-tireurs tels Apple ou Plastic Logic pourront venir jouer les troubles-fêtes dans cette bataille, mais les hypothétiques Tablettes et ePaper grand format n'auront qu'un impact marginal face aux déploiements de puissance commerciale et financière de Sony, d'Amazon ou de Goggle. Il est probable que les géants devront lâcher du lest sur leur culture du standard propriétaire afin de satisfaire une clientèle qui va quadrupler en trois ans, si l'on en croit les estimations de plusieurs instituts.
Le monde de l'édition française attend certainement de voir comment cette guerre mondiale va tourner avant de se mettre en action. Et il n'est pas la seul. Mais cette posture d'attente alliée à la certitude d'être indispensable pourraient bien s'avérer fatales pour le métier d'éditeur. Les géants de l'électronique, de la distribution en ligne ou tout simplement de l'Internet n'ont pas de considération pour des postes aisément supplantés par des agents indépendants, des systèmes de syndication de contenus, des marchés extrêmement volatiles et une abondance intarissable de talents. A vouloir attendre, il sera peut-être trop tard pour prendre le train en marche.

1 commentaires:

Bruno Rives a dit…

Très intéressant...