jeudi 11 mars 2010

Les logiciels d'arts graphiques serviront-ils encore à quelque chose ?

Le Web 2.0 s'installe chez le particulier en passant par la porte de l'ADSL, aussi bien qu'en pénétrant par la fenêtre de l'internet mobile et bientôt en descendant par la cheminée avec les tablettes tactiles multimédia. Quel que soit l'écran sur lequel il pose son regard, l'utilisateur est sans cesse sollicité, souvent sans même en prendre conscience. Il devient un acteur déterminant d'une économie en plein essor. Désormais, l'utilisateur n'est pas seulement inondé de messages écrits ou sonores, les images fixes ou animées envahissent les tuyaux de communication et fleurissent sur les écrans plats, les smartphones, les espaces publics. Tant les fournisseurs d'accès que les éditeurs de contenus rivalisent d'ingéniosité pour toucher le public, pour capter l'attention de l'utilisateur, pour influer sur les décisions d'achat, pour orienter les désirs et les envies, pour étendre le champs d'action du marketing.


Dans ce monde en mutation parfois douloureuse, parfois indolore, les utilisateurs ignorent le labeur invisible des centaines de milliers de graphistes dans le monde qui fabriquent les images et mettent en forme les textes constituant les munitions de bombardement des entreprises et de leurs marques. Ces graphistes sont formés par bataillons par des institutions publiques sous-équipées et souvent incapables d'anticiper la vitesse rapide de transformation des métiers des médias. Ils sont également formés par des institutions privées, organismes de formation qui se font le relai inévitable entre les futurs graphistes et les logiciels professionnels de production graphique. C'est souvent là que les futurs graphistes vont recevoir un enseignement spécialisé dans leur domaine d'étude et surtout adapté aux attentes des entreprises.


En théorie, le schéma fonctionne bien. Les éditeurs de logiciels produisent des logiciels spécialisés dans la production d'images. Les organismes de formation dispensent une formation professionnelle sur ces mêmes logiciels, doublée d'une formation théorique et pratique dans les domaines des arts graphiques. Les entreprises bénéficient ainsi du dispositif socio-professionnel qu'elles financent, entre autres, avec les prélèvements obligatoires dévolus à la formation continue. Au bout, les futurs graphistes sortent du circuit munis d'un bagage riche, efficace et complètement adapté à la réalité du marché... Hélas l'énoncé de la dernière phrase sonne déjà comme un slogan publicitaire. Et il suffit de s'intéresser de près au sujet pour se rendre compte du décalage qui se creuse tous les jours entre les réalités du monde des médias et le dispositif censé l'alimenter en main d'œuvre aussi compétente que performante.


Ce décalage entre la réalité de la presse, de l'édition, mais aussi de la télévision et de la radio, et l'univers théorique dans lequel évoluent la plupart des organismes de formations et des institution académiques est devenu vertigineux. Cette fracture, loin de se réduire, est amplifiée par la multiplication des discours politiques rassurants qui manquent dans l'écrasante majorité des cas de se transformer en actions concrètes. La situation devient alors préoccupante lorsque l'on prend conscience de l'inadéquation des outils enseignés, et donc des logiciels vendus, par rapport aux besoins très réels et urgents du terrain, tant au niveau des annonceurs que des utilisateurs.


Le monde de la communication subit un puissant effet de réorganisation d'un type nouveau, articulé sur les liens, l'identification autonome des objets et le maillage des données à niveaux multiples et transversaux. Les outils se dématérialisent, comme les données, s'inscrivant dans une sous-couche invisible qui recouvre toutes les composantes de la société planétaire en formation. Pourtant, dans le domaine de la production de textes et d'images, on continue de produire des logiciels en boite, en conserve, qui se veulent comme d'indispensables panoplies de fabrication, indépendantes du réseau, à l'écart du maillage mondial. Alors que le monde de la communication s'installe dans un univers intégré, enjeu de toutes les convoitises et de tous les pouvoirs, les éditeurs de logiciels d'arts graphiques restent prisonniers de schémas industriels de l'après-guerre, pour ne pas dire du siècle dernier, qu'ils verrouillent tant par la propriété physique des moyens de production que par la propriété intellectuelle du code.


Cette nouvelle donne contrariée par des réflexes d'un capitalisme révolu, celui du contrôle des moyens de production, trouve une illustration parfaite dans l'absurdité qui touche les logiciels d'arts graphiques développés par une poignée d'entreprises au niveau mondial et utilisés par des légions de graphistes. Licences exclusives, DRM, verrouillages industriels, limitations de la transopérabilité, incompatibilités de formats, le monde des arts graphiques, pourtant au cœur de la révolution numérique des médias est la proie de toutes les formes de contrôle informatique comme juridique. Qui a déjà installé une suite logicielle de mise en page et de retouche d'images expérimente dans toute sa mesure et sa complexité les méfaits et l'hypocrisie des restrictions informatiques, exclusivement destinées à protéger un modèle de pensée complètement dépassé. Sans compter que la plupart des logiciels d'arts graphiques ont bâtis leurs notoriétés sur un savant mélange de lobbying, de totalitarisme industriel et de conditions draconiennes qu'aucune entreprise n'a jamais complètement acceptées. La cerise sur le gâteau est la stratégie proprement perverse qui a consisté à propager les logiciels d'arts graphiques gratuitement de manière plus ou moins licite auprès des utilisateurs finaux (les graphistes) afin de susciter l'usage.


Les prétentieuses suites logicielles de conception et de production d'images, de textes, d'ouvrages de presse et d'édition, mais aussi la plupart des outils de production audiovisuelle, textuelle et graphique se sont construites sur la culture du partage du monde de l'informatique avant de serrer la vis un grand coup et de s'assurer un monopole de fait sur l'ensemble de la création artistique et graphique de la planète, ni plus ni moins. Cette opération de longue haleine n'a pas été sans heurts, sans guerre des standards, sans rachats stratégiques, mises à mort industrielles, destructions pures et simples de talents, de ressources, de savoir-faire, de métiers...


Mais alors que seuls quelques acteurs émergent en géants incontestés, des décombres de ces multiples conflits, une évolution rapide et mal anticipée menace les vainqueurs d'extinction par simple fait d'obsolescence. Le Web 2.0 ne permet pas seulement la communication à double sens entre utilisateurs et producteurs de contenus et de services. Il met à la disposition de l'ensemble des utilisateurs d'un volant de services et d'outils gratuits permettant de réaliser la quasi-totalité des opérations de publication et d'édition de documents audiovisuels, textuels, sonores. L'expertise technique de détail est largement supplantée par des systèmes intégrés presse-bouton, accessibles à des non-techniciens, d'une aisance relative dans le déploiement et l'utilisation. Autrefois développé par les communautés du logiciel libre, ce mouvement de démocratisation des outils informatiques grand public est repris par les plus gros opérateurs de l'économie numérique : Amazon, Google, Apple, Microsoft, Yahoo!, etc. prenant une dimension sans précédent dans l'histoire de la communication entre les individus et les groupes.


Dans un tel contexte, se pose la question de l'utilité des logiciels de composition, de retouche ou de dessin commercialisés par des firmes qui ont fait leur fortune en régnant sans partage sur les standards techniques et industriels de toutes les professions de la publication numérique. Nul doute que les logiciels sur le marché soient des outils puissants, souvent efficaces dès lors qu'ils sont manipulés par des spécialistes, et que leur usage massif a également contribué à l'expansion de la communication numérique et des progrès de l'industrie des arts graphiques. Mais à l'heure de la dématérialisation des moyens informatiques, quel besoin pouvons-nous avoir d'acheter à prix d'or un carton vide ne contenant qu'un simple numéro de série ?


Aucun.


Un rapide tour sur les salons professionnels des arts graphiques en France ou à l'étranger confirme la tendance forte à la mise en ligne de système d'édition experts, orientés vers les utilisateurs courants des supports de communication. Quelle place reste-t-il alors aux logiciels payants et sévèrement contrôlés ? Pourquoi dépenser trois à quatre mille euros de licence par poste et par an pour équiper un studio alors qu'il est désormais possible de mettre en page en ligne selon des gabarits complets, simples, flexibles et complètement intégrés dans une démarche de référencement et de mise ne base de données ? Pourquoi enfin, s'en remettre à des systèmes propriétaires payants appartenant aux mêmes éditeurs alors que des outils gratuit ou très peu onéreux permettent de conserver une véritable indépendance technologique ?


L'impact incroyable des usages inventés par Apple, Google et d'autres menace d'exploser littéralement à la face des éditeurs de logiciels d'arts graphiques. Les outils gratuits et performants se développent. Les services sur abonnement à des tarifs imbattables pourront facilement l'emporter sur la seule notoriété et des prix de logiciels de plus en plus difficiles à justifier. La pauvreté de l'innovation de la part des développeurs de marques jusque ici incontournables ne fait qu'accentuer le clivage entre le monde des utilisateurs de services et celui des forçats de la maquette et de la retouche photographique. Ce phénomène d'érosion rapide vient à poser la question bien réelle : les logiciels d'arts graphiques servent-ils encore à quelque chose ?

1 commentaires:

Jigé a dit…

Salut ami d’Outre-Atlantique et un beau bonjour du Québec; merci du partage. C’est tout à fait par hasard, au gré de mes explorations des blogs, que j’ai atterri ici.

Super intéressant ce blog, dis donc, et surtout cet article car je songe à me procurer le "iPAD" (tablette tactile de APPLE).

Puisque tu t'intéresses au bouddhisme, tu aimeras mon blog consacré à la connaissance de soi. Si le coeur t'en dit, tu es bienvenu.