samedi 22 octobre 2011

L'adoption tardive des technologies : un trait de caractère bien français

On l'admettra difficilement : les entreprises françaises sont en retard d'un métro dans l'adoption des technologies disponibles en matière de communication. Il suffit de passer plusieurs mois à former et à coacher en entreprise ou tout simplement en animant quelques salons professionnels pour s'en rendre rapidement compte. Et quand elles ne sont pas en retard, ces mêmes entreprises peinent à tirer le meilleur parti des progrès techniques, et pas seulement dans le domaine de la communication et de l'information.


La pauvreté de l'information en langue française alliée à la rareté des contacts extra-professionnels hors secteur et à l'absence de capillarité des dispositifs industriels (à l'inverse des dispositifs scientifiques) sont en France les principaux freins à une adoption en temps et en heure des technologies les plus performantes. Cela est particulièrement significatif dans le domaine de la communication et de l'information.


Alors comment la France parvient-elle a rester dans la compétition technologique et industrielle mondiale ? Elle n'y parvient plus. C'est du moins ce que démontre la dégringolade dans les palmarès divers et variés. Amoureuse de l'information de première main, l'entreprise française continue de faire ses affaires sur le coin d'une (bonne) table et au comptoir du bistrot. Elle aime rencontrer son interlocuteur quitte à lui faire des misères et à se faire (longtemps) désirer. Elle veut être séduite, courtisée, conquise pour finalement s'abandonner complètement au premier beau parleur venu.


Résultat des courses, les entreprises françaises sont à la traîne en Europe (et dans le monde) en matière d'adoption des nouvelles technologies, au point d'en contester systématiquement l'utilité, voire de les dénigrer tout simplement. Faut il y voir un excès de chauvinisme, un esprit étroit et borné qui ne tolère pas la nouveauté et craint le progrès ? C'est le discours anglophone que l'on peut entendre discrètement mais sûrement auprès de nos voisins occidentaux. Les français seraient sceptiques, dubitatifs, soupçonneux, résistants au changement, imperméables à l'innovation...



Curieusement, au sortir d'une présentation de l'Atelier, ou bien d'un événement à la Cantine on a l'impression forte que l'innovation est un trait de caractère bien français. Et force est de constater que les ingénieurs, les scientifiques et les chercheurs nationaux sont très bien représentés dans les colloques, forums, rencontres, congrès et autres points de ralliement de l'innovation technologique et scientifique mondiale. Alors comment se fait-il que les entreprises soient si en retard au point d'être citées en cas d'école dans certaines présentations ? Doit-on voir ici un clivage radical et mutuellement exclusif entre le monde de l'innovation et le monde de l'exploitation ?


Mais peut-être qu'il suffit d'examiner attentivement l'organisation de la PME française pour se rendre compte des dysfonctionnements à la source de ce retard incorrigible au sein de nos entreprises, grandes et petites. Ces structures fortement hiérarchisées, très personnalisées et dépourvues de transparence interne affichent une défiance systématique à toute nouvelle technique, surtout quand elle est d'origine extérieure et/ou étrangère. Les PME affichent un scepticisme presque proverbial dès lors qu'il s'agit de rénover leurs outils de travail, et en particulier leurs systèmes d'information, car il remet en question les orientations et les dispositifs organisationnels de la direction. C'est dans ce conservatisme et cette résistance au changement d'organisation qu'il faut chercher les sources de toutes les réticences et des retards français.

Nous sommes entrés depuis quinze ans déjà dans une nouvelle période de développement social, économique et industriel.
Elle passe par l'acquisition et la maîtrise de technologies de l'information permettant de prendre des initiatives déterminantes dans un espace de compétition mondial, inégal et déréglementé, dans lequel les frontières de quelque nature qu'elles soient n'offrent aucune forme de protection sociale, économique ou juridique. L'articulation clé de cette révolution dite numérique repose sur les systèmes et les modes d'information et de communication, plus que sur les technologies elles-mêmes (qui ne sont plus que des vecteurs, des canaux). Cela signifie qu'il s'agit non plus de changer d'équipement industriel, mais bien et bel de modifier les comportements et les organisations des entreprises et de leurs collaborateurs.



Le réseau, les réseaux, la pensée en réseau et leurs usages sont au centre de ce que les entreprises françaises ont à intégrer dans leurs structures. Cette intégration transforme radicalement les pratiques professionnelles, les organisations et les stratégies. Il s'agit d'un nouveau paradigme, une nouvelle forme de pensée à laquelle nous, français, ne sommes pas étrangers. Bon nombre de chercheurs, arpenteurs et arpenteuses, ont défriché ce terrain mais sont encore peu écoutés. On leur préfère des intervenants en entreprise formés à des techniques vieilles de dix ans, sinon plus, provenant de cabinets et d'agences qui cadrent avec l'amour immodéré des PME françaises pour l'institutionnel et l'esprit de corps. Par nature, ce n'est pas là que se trouvent les idées neuves.


Pour conclure, je reste convaincu que l'essentiel de la révolution (numérique) qui peine à émerger en France voit son mouvement freiné par une réelle lenteur du secteur clé de l'information : l'édition et par extension la presse. En résistant (vaillamment) à la transformation radicale qu'imposent les réseaux et les outils numériques, le monde de l'édition (sous toutes ses formes) porte un coup fatal à la capacité des entreprises à bénéficier d'un corpus solide, documenté et francophone pour soutenir la création d'une infosphère hors de la domination américaine (au détriment des français et plus généralement des européens). Et cela en dépit des efforts de plusieurs éditeurs de petite taille qui ne ménagent pas leurs efforts pour fournir une abondante littérature de référence en provenance de traducteurs mais aussi de chercheurs. Ces efforts restent malheureusement faibles en rapport avec une demande croissante et en décalage avec la réalité de la révolution numérique mondiale.

Si les PME françaises sont en retard (et elles le sont) dans l'adoption de nouvelles technologies, ce n'est pas par défiance technophobe
mais à cause d'une résistance au changement dans leurs modes d'organisation. Changer de système d'information (et de communication) c'est aussi changer d'organisation. L'un ne va pas sans l'autre. Le consulting est une réponse pour conduire des changements efficaces et le coaching est un excellent outil pour l'analyse et le traitement de problèmes spécifiques au sein de la PME. C'est encore une démarche peu utilisée par les petites PME qui envisagent le prix comme un coût et non comme un investissement à court, moyen et long termes. En créant un environnement culturel propice et documenté, l'édition française pourrait contribuer à redresser la barre et à permettre une "évangélisation" rapide. Ce ne sont ni les auteurs, ni les bonnes volontés, ni les compétences qui manquent.





(Crédits photographiques : CC Mark Hillary [@flikr])

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