mardi 13 mars 2012

Les médias sociaux transforment la campagne électorale

La France est noyée dans la prochaine élection du président de la république. La campagne occupe tous les horizons médiatiques au point d'occulter les révolutions sanglantes, les crises économiques européennes et les guerres financières que se livrent les nations. L'engouement français pour l'élection présidentielle n'est pas nouveau mais la cuvée 2012 a quelque chose de particulier. En cinq ans, l'irruption des médias sociaux dans la communication politique est tout à fait spectaculaire...

Facebook et Twitter ont la part belle dans ce foisonnement d'opinions et d'expressions politiques, mais ils ne sont pas les seuls. Les blogs personnels, que l'on donnait pour morts, offrent à la communication minimaliste une épaisseur et du relief. En marge, les supports numériques d'information (Rue 89, Mediapart, Owni, etc.) ne sont pas en reste et développent des expositions inédites et des outils aussi originaux qu'innovants pour donner le contrepoint de la communication institutionnelle traditionnelle et réglementée. Enfin, pas un candidat n'est, cette année, en dehors du jeu médiatique d'Internet.

Cette révolution numérique donne un caractère tout à fait particulier à la campagne présidentielle. Alors même que les candidats ne font ni état, ni ne donnent d'importance aux médias sociaux qui relayent en permanence, en continu et en temps réel, l'actualité de leurs messages et de leurs efforts de campagne. Les candidats semblent vouloir perpétuer la croyance que les médias sociaux ne sont qu'une extension du téléphone et donc une forme de communication privée et personnelle, sans impact réel ou direct sur l'opinion.

Cet état est dû en premier lieu au fait que la communication numérique est l'affaire de spécialistes et de techniciens. Comme on ne s'improvise pas "code warrior", on les embauchent et chacun a les siens. Ils et elles : community managers, bloggers, spécialistes de la com, stratèges en tous genres, apprentis sorciers et sorcières, sont comme autant de petites armées privées qui passent sous le radar des institutions de régulation et travaillent d'arrache-pied à faire élire leur candidat, leur client. Cette nouvelle race de cyber-lobbyistes est maintenant parfaitement installée dans le paysage de l'Internet et subit une forte demande que les écoles, les organismes de formation et les institutions spécialisées ont bien du mal à satisfaire.

Le deuxième facteur est que la guerre de l'information numérique que se livrent les rivaux politiques par cyber-mercenaires improvisés ne repose pas sur la rhétorique politique classique et le combat de la confiance, mais sur les données, les "datas". Ce n'est plus la course à la promesse életorale, mais celle beaucoup plus stricte de la véracité, par la vérification systématique et informatisée des déclarations, des dires, des petites phrases, et surtout des chiffres. C'est une "infowar" comme on n'en avait jamais vu auparavant en France. Tout le monde est passé au crible afin de déterminer qui dit la vérité et qui raconte des salades. La campagne opère donc un glissement que l'on entend distinctement dans les discours politiques entre la construction d'un projet politique à une enquête de moralité et de crédibilité de chacun(e) des candidat(e)s.

Cette nouvelle forme de campagne électorale annonce, sans aucun doute possible, un changement de régime gouvernemental. Car on a vu, et continue de voir, l'impact qu'ont les médias sociaux sur les régimes, surtout ceux dont la légitimité est douteuse ou dont l'autoritarisme est évident. Incapables de gérer les opinions, ils coupent court à la conversation et à la communication en interdisant ou en limitant radicalement l'usage de facebook, de twitter et de l'Internet en général. Nous sommes alors en droit de nous poser la question de savoir comment l'Internet va évoluer et ce qu'en disent les candidats. Mais force est de constater que leurs positions sont floues, et que leurs priorités sont de faire taire les protestations contre les crises financières que nous imposent les banques.

La campagne 2012 n'en est pas moins une première de taille. Car elle voit des médias privés, hors de la zone traditionnelle (télévision-radio-presse), prendre l'ascendant sur l'information. Et il devient de plus en plus visible que la télévision et la radio se font souvent l'écho de ce qui se dit, s'écrit ou se voit sur Internet. Youtube (aka Google), Facebook ou Twitter ont, ou sont en passe d'avoir, une exposition supérieure et une influence plus importante que TF1, M6, France inter, RMC, RTL... Le "mainstream" cède sur le terrain de la politique des portions de territoires considérables.

Devant une révolution numérique qui prend une tournure particulière, il devient urgent de se préoccuper de la position des candidats sur l'impact des médias sociaux et surtout sur leur régulation. Car ce qui est réglementé et parfois impossible sur les médias traditionnels ne connaît aucune limite, ni contrainte sur des canaux sociaux qui ne répondent ni aux lois régionales ni même aux conventions internationales, et qui ne sont que rarement inquiétés devant des tribunaux.

Plus concrètement, on peux se poser la question de savoir pour qui roule Google, Facebook, ou Twitter, ou les plate-formes de blogging gratuites, ou encore les forums hébergés par telle ou telle compagnie. Cela pose des problèmes qui échappent totalement à la cour des comptes quand elle observe les financements de partis politiques. Cela pose aussi des problèmes de temps de parole, de visibilité de minorités, d'amplifications et de déformation de l'information et de la propagande politique. Mais cela ne semble poser aucun problème aux candidats eux-mêmes qui s'accommodent très bien de ce "no man's land" juridique et politique.

Enfin, ce glissement vers une digitalisation des discours de campagne provoque un questionnement sur la nature des datas (données) et leur légitimité. En effet, le combat politique sur le Web repose essentiellement sur les sources, publiques ou confidentielles. Mais dans ce domaine, nous vivons encore avec la mentalité du 19e siècle. Nous pensons à tort que la chose publique est vraie et objective. Nous cédons facilement à l'argument qui veut que ce qui est admis par le plus grand nombre l'emporte sur ce qui est connu seulement d'un petit nombre. Nous vivons encore dans la société de masse et nous lui octroyons un pouvoir démesuré et irrationnel.

Les information publiques ou confidentielles ne sont en rien objectives. Elles sont commandées par des groupes de décision, des intérêts politiques et économiques et ne sont que très rarement issues de la réflexion d'auteurs indépendants et objectifs. Alors si l'exercice de vérifier l'exactitude des dires par rapport à des données connues est sain, il n'est pas moins orienté par ces mêmes données connues. Une grande part des données dont nous avons besoin pour nous forger une opinion ne sont pas organisées, ni même connues ou répertoriées. Le danger est donc grand de voir les choix politiques se fonder sur une version officielle des données réelles. Et c'est ce que nous pouvons constater souvent.

Wikileaks, anonymous et les groupes "dissidents" du même type sont encore beaucoup trop neufs pour être fiables et surtout pour représenter une opinion divergente ou alternative. Et les documents qu'ils déversent dans le domaine public ne sont pas produits par des organismes indépendants, ni des individus objectifs. Ils sont donc discutables, sans parler du procédé lui-même. De même les sources officielles, statistiques ou tout simplement publiques sont le produit de systèmes et de corps constitués au service d'intérêts politiques ou industriels. 

C'est triste à dire, mais ce qu'il manque ce sont des observateurs objectifs, pratiquant la neutralité comme une discipline et non comme un dogme, capable de recouper des informations de sources différentes et divergentes, de mener des enquêtes de terrain sur des temps raisonnablement longs et dotés d'un solide sens critique. Ce qui manque ce sont des journalistes comme on n'en rencontre plus que rarement et qu'il faudrait protéger d'une immunité diplomatique et d'un salaire suffisant pour qu'ils et elles puissent faire leur travail convenablement à l'abri des forces en présence.

Nous vivons une campagne électorale sans précédent en France. Certain(e)s le remarquent mais ne sont pas écoutés, peu lus, et rarement consultés. Quel que soit le candidat élu aux prochaines élections, le changement de régime est inévitable. Reste à savoir de quel côté, ce changement penchera.

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